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Babel - Pentecôte

  Dans l'Ancien Testament, la fête des semaines (Chavouot) ou fête de la Pentecôte, célèbre la fin des moissons des blés, sept semaines après Pâque, soit cinquante jours. Elle est également appelée fête de la moisson ou fête des prémices (Ex 23,16). On compte, de fait, une cinquantaine de jours entre la coupe des premiers épis lors de la moisson des orges et la fin de la moisson des blés. Pour Israël, elle devient la fête de l’alliance et du don de la torah au Sinaï.

Dans le Nouveau testament, la fête de la Pentecôte célèbre la venue de l’Esprit Saint sur les apôtres le cinquantième jour après Pâques (en grec, pentêkostê signifie « cinquantième »). Avant de monter au Ciel (à l’Ascension), le Christ avait annoncé aux apôtres :

  Vous allez recevoir une force quand le Saint-Esprit viendra sur vous ; vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre (Ac 1, 8).

  Le récit de la Pentecôte (Ac 2, 1-13), comparé à celui de Babel (Gn 11, 1-9), exprime la place de l'Esprit dans le processus de la parole. Les deux récits enseignent d'une part, que toute forme de relation ne peut se vivre que dans l'acceptation de la différence et de la distance avec l'autre et le Tout-Autre, et d'autre part que l'Esprit assure l'unité sans confusion.

La Pentecôte révèle la puissance de l'Esprit qui rassemble dans la parole. Il enseigne que Dieu parle toutes les langues. L'Esprit est le dénominateur commun des langues, là où les hommes peuvent se rejoindre et se comprendre dans leurs différences. L'épisode de Babel marque, au contraire, le refus de la différence (Cf. l'étude de H. BOST, BABEL, Du texte au symbole, Labor et Fides, 1985). Ce refus se traduit dans la volonté humaine de vivre comme Dieu, dans une unité indifférenciée, afin que rien ne soit inaccessible. La langue unique révèle symboliquement la négation des différences entre les hommes et avec Dieu

Le projet d'une langue universelle, c'est la révolte contre le langage donné. On ne veut pas dépendre de ses confusions, on veut le refaire à la mesure de la vérité, le redéfinir selon la pensée de Dieu, recommencer à zéro l'histoire de la parole, ou plutôt arracher la parole à l'histoire (M. MERLEAU-PONTY, La prose du monde, Gallimard, 1969, p. 10) .

L'altérité est gommée au profit d'une confusion entre soi-même et l'autre, et avec le Tout-Autre. La construction de la tour abolit tout écart avec Dieu. La toute puissance règne; l'autre n'existe que par rapport à soi-même. Le désir de se faire un nom marque le refus de la dépendance et de l'hétéronomie. Chacun veut se faire un nom et non pas le recevoir d'un autre. L'autonomination caractérise l'autonomie radicale, celle qui ne veut dépendre de personne.

La division qui en résulte n'est pas une punition de Dieu, mais bien plutôt une voie de salut. Elle restaure les distances, afin que chacun puisse s'exprimer. L'indistinction du même et de l'autre étouffe la parole. L'instauration symbolique de la diversité des langues et la dispersion de l'humanité sur la terre ouvrent la voie de la reconnaissance et de l'altérité.

Ne faut-il pas avouer que nous sommes là devant l’intervention punitive d’un Dieu « jaloux de sa puissance », soucieux de « diviser pour régner » ? A moins que cette irruption – indéniablement négative – ne doive être comprise comme la seule réponse qui convienne face à une tendance autodestructrice : pour éviter que les babéliens ne s’enferment dans leur forteresse unitaire, il faut bien poser un « inter-dit » qui marque des limites, qui écarte et distingue les uns des autres les hommes et leurs langues. « En brouillant les langues » – autrement dit, « Dieu stoppe l’entreprise, mais ce coup d’arrêt ne vaut que pour cette manière de construire, pour cette pseudo-entente de ceux qui prétendent « se donner à eux-mêmes le nom, se construire eux-mêmes leur propre nom, s’y rassembler […] comme dans l’unité d’un lieu qui est à la fois une langue et une tour». C’est cet imaginaire morbide, de type spéculaire, qu’il faut briser. Et le non qui s’y oppose n’est, comme toujours dans la pédagogie biblique, que l’envers d’un oui plus profond : confusion et dispersion, inséparables, relèvent moins d’un simple châtiment que d’un envoi créateur renouvelé. Francis Guibal, Babel, malédiction ou bénédiction ? Etudes, 2007/1.

La Pentecôte est l'antithèse de Babel. Ce n'est pas l'homme qui monte vers Dieu, mais l'Esprit qui descend sur l'homme. L'Esprit rassemble dans la diversité. Il se pose sur chacun dans sa spécificité et articule leur compréhension mutuelle. Il ouvre à l'universel. L'Esprit rétablit l'unité de langage défaite à la tour de Babel. La puissance de l'Esprit établit une communion dans la différence des langues. Les deux récits enseignent que l'unité doit se faire dans le respect de l'altérité et non pas dans la confusion. L'Esprit ne gomme pas les différences, mais assure la communion. Il rejoint ainsi l'homme et la femme dans leur manque originel. Il sépare pour signifier que l'Un indifférencié conduit à la perte. L'Esprit creuse l'écart entre Dieu et le monde pour que s'instaure la parole.

Dieu embrasse le Tout, mais il n'est pas le Tout. De même, Dieu embrasse ma personne et il n'est pas ma personne. À cause de cette vérité ineffable, je peux dire le Tu en ma langue, comme chacun peut le dire en la sienne. À cause de cette vérité ineffable, il y a le Je et le Tu, il y a dialogue, il y a langue, il y a l'esprit dont le langage est l'acte originel, il y a de toute éternité le Verbe (M. BUBER, Je et Tu, Aubier, 1969, p. 140).

Babel Pentecôte

Gn 11,1-9 Tout le monde se servait d'une même langue et des mêmes mots. Comme les hommes se déplaçaient à l'orient, ils trouvèrent une vallée au pays de Shinéar et ils s'y établirent. Ils se dirent l'un à l'autre : Allons ! Faisons des briques et cuisons-les au feu ! La brique leur servit de pierre et le bitume leur servit de mortier. Ils dirent : Allons ! Bâtissons-nous une ville et une tour dont le sommet pénètre les cieux ! Faisons-nous un nom et ne soyons pas dispersés sur toute la terre ! Or Yahvé descendit pour voir la ville et la tour que les hommes avaient bâties. Et Yahvé dit : Voici que tous font un seul peuple et parlent une seule langue, et tel est le début de leurs entreprises ! Maintenant, aucun dessein ne sera irréalisable pour eux. Allons ! Descendons ! Et là, confondons leur langage pour qu'ils ne s'entendent plus les uns les autres. Yahvé les dispersa de là sur toute la face de la terre et ils cessèrent de bâtir la ville. Aussi la nomma-t-on Babel, car c'est là que Yahvé confondit le langage de tous les habitants de la terre et c'est de là qu'il les dispersa sur toute la face de la terre.

Act 2,1-8 Le jour de la Pentecôte étant arrivé, ils se trouvaient tous ensemble dans un même lieu, quand, tout à coup, vint du ciel un bruit tel que celui d'un violent coup de vent, qui remplit toute la maison où ils se tenaient. Ils virent apparaître des langues qu'on eût dites de feu ; elles se partageaient, et il s'en posa une sur chacun d'eux. Tous furent alors remplis de l'Esprit Saint et commencèrent à parler en d'autres langues, selon que l'Esprit leur donnait de s'exprimer. Or il y avait, demeurant à Jérusalem, des hommes dévots de toutes les nations qui sont sous le ciel. Au bruit qui se produisit, la multitude se rassembla et fut confondue : chacun les entendait parler en son propre idiome. Ils étaient stupéfaits, et, tout étonnés, ils disaient : « Ces hommes qui parlent, ne sont-ils pas tous Galiléens ? Comment se fait-il alors que chacun de nous les entende dans son propre idiome maternel ?