Site de Formation Théologique

Le Cantique des cantiques

Interprétation

La bible est toute imprégnée de passion amoureuse et le Cantique des cantiques décrit précisément cette passion que se témoignent un homme et une femme. Le Cantique des cantiques est une anamnèse de la création où l’homme et la femme se donnent leur corps dans l’émerveillement de la reconnaissance mutuelle.

Le Cantique des cantiques se présente comme un recueil de poèmes célébrant l'amour entre un homme et une femme. Les chants disent le désir de l'un pour l'autre, célèbrent la beauté des corps, mais présentent également le désir comme un tourment. L'absence de l'autre se fait cruellement ressentir, et plusieurs pièces nous livrent l'angoisse de la jeune femme partie à la recherche du bien-aimé introuvable.

Au delà de l'amour humain, tant Juifs que Chrétiens y ont vu une allégorie. Cette lecture va faciliter son admission dans le canon des Ecritures.

La plus forte pression de sens sur le Cantique est due à sa situation au milieu des livres saints du judaïsme. L'environnement sacré pousse à trouver des analogies mystiques dans ce texte apparaissant tout d'abord comme profane : le sens littéral, le sens immédiat et premier devient en langage chiffré le dialogue entre Israël (l'épouse) et son Dieu (l'époux). Ainsi, on applique au Cantique la méthode d'interprétation générale de toute la Bible, le texte est orienté dans le sens des habitudes d'interprétations dont on faisait usage dans les synagogues. Rabbi Aquiva (vers 135) interprétait le Cantique comme une célébration de l'Amour divin (l'Amour de Yahvé pour son peuple) et son histoire depuis l'Exode jusqu'au Messie.

Les Pères de l'Eglise reprirent l'attitude explicative des rabbins du dernier siècle pour éclairer ce texte : le Christ n'était pas venu abolir mais accomplir. Ainsi Cyprien y voit l'amour du Christ pour l'Eglise, le Christ étant Fils de Dieu et l'Eglise le nouvel Israël. On reconnaît les préoccupations eccïésiales communautaires des débuts du christianisme. Origène superpose à ce sens celui qui décrit l'union de l'âme croyante avec son Dieu. Saint Bernard, dans la tradition, rajoute une dimension aux précédentes en attribuant la voix féminine du cantique à la Vierge.

Théodore de Mopsuète, revenant au sens littéral (le mariage de Salomon avec une Egyptienne), se voit condamné par le concile de Constantinople en 553. Blanchard Gérard. Des lectures du Cantique des Cantiques. In: Communication et langages, n°8, 1970. pp. 5-29. http://www.persee.fr/doc/colan_0336-1500_1970_num_8_1_4464

Il faut prendre simplement le Cantique pour ce qu'il est manifestement: un chant d'amour" Cette phrase de J. WINANDY O.S.B exprime la conviction d'exégètes de plus en plus nombreux (J WINANDY, Le Cantique des Cantiques, poème d'amour mué en écrit de Sagesse, Maredsous, 1960, p. 26). - M. DUBARLE ajoute: "L'exégèse catholique, qui a parfois fait appel au sens évident des textes bibliques pour des passages de grande importance dogmatique, ne devrait pas l'abandonner à la légère quand il s'agit du Cantique". Se référant à la phrase de G. GERLEMAN, DUBARLE poursuit: "Le Cantique célèbre l'amour de l'homme et de la femme sans y joindre aucun élément mythologique...

Quelques lecteurs du Cantique des Cantiques ont cru voir dans ces versets un amour désincarné. Ils ont oublié les amants, ou ils ont été pétrifiés en fictions, sur un plan purement intellectuel (...) ils ont multiplié les infimes correspondances allégoriques dans quelques phrases, paroles ou images (...). Ce n'est nullement le bon chemin (...). Qui ne croit pas à l'amour des époux, qui doit demander pardon pour le corps, ceux-là n'ont pas le droit de l'élever (...). Avec l'affirmation de l'amour humain il est par contre possible d'y découvrir la révélation de Dieu ( L. Alonso SCHÖKEL). Jean-Paul II - TDC 109, http://www.theologieducorps.fr/tdc/tdc-109-ce-cantique-cantiques-nous-apprend-sur-lamour-humain

Un cadre paradisiaque

Les solives de nos maisons sont des cèdres, Nos lambris sont des cyprès. (1,17).

Car voici, l'hiver est passé ; La pluie a cessé, elle s'en est allée. Les fleurs paraissent sur la terre, Le temps de chanter est arrivé, Et la voix de la tourterelle se fait entendre dans nos campagnes. Le figuier embaume ses fruits, Et les vignes en fleur exhalent leur parfum. Lève-toi, mon amie, ma belle, et viens ! (2,11-13).

Voici la litière de Salomon, Et autour d'elle soixante vaillants hommes... Le roi Salomon s'est fait une litière De bois du Liban. Il en a fait les colonnes d'argent, Le dossier d'or, Le siège de pourpre ; Au milieu est une broderie, oeuvre d'amour Des filles de Jérusalem. (3,7-10).

Du nard et du safran, de la cannelle et du cinnamome, avec toutes sortes d’arbres à encens ; de la myrrhe et de l’aloès, avec tous les baumes de première qualité. (4,14). 

Viens, mon bien-aimé, sortons dans les champs, Demeurons dans les villages ! Dès le matin nous irons aux vignes, Nous verrons si la vigne pousse, si la fleur s'ouvre, Si les grenadiers fleurissent. Là je te donnerai mon amour. Les mandragores répandent leur parfum, Et nous avons à nos portes tous les meilleurs fruits, Nouveaux et anciens : Mon bien-aimé, je les ai gardés pour toi. (7,11-13).

La beauté des corps

Elle : Je suis noire, mais je suis belle, filles de Jérusalem, Comme les tentes de Kédar, comme les pavillons de Salomon. (1,5).

Lui : Tes joues sont belles au milieu des colliers, Ton cou est beau au milieu des rangées de perles. (1,10).

Que tu es belle, mon amie, que tu es belle ! Tes yeux sont des colombes. - Que tu es beau, mon bien-aimé, que tu es aimable ! Notre lit, c'est la verdure. (1,15-16).

Lui : Comme un lis au milieu des épines, Telle est mon amie parmi les jeunes filles. – Elle : Comme un pommier au milieu des arbres de la forêt, Tel est mon bien-aimé parmi les jeunes hommes. J'ai désiré m'asseoir à son ombre. (2,2-3).

Elle : C'est la voix de mon bien-aimé ! Le voici, il vient, Sautant sur les montagnes, Bondissant sur les collines. Mon bien-aimé est semblable à la gazelle ou au faon des biches. (2,8-9).

Lui : Que tu es belle, mon amie, que tu es belle ! Tes yeux sont des colombes derrière ton voile. Ta chevelure est comme un troupeau de chèvres qui dévale les monts du Galaad. Tes dents sont comme un troupeau de brebis à tondre qui remontent du bain ; chacune a sa jumelle, aucune n'en est privée. Tes lèvres sont comme un cordon écarlate, et ta bouche est jolie ; ta joue est comme une moitié de grenade derrière ton voile. Ton cou est comme la tour de David, bâtie pour être un arsenal : les mille boucliers y sont suspendus, tous les carquois des guerriers. Tes deux seins sont comme deux petits, jumeaux d'une gazelle, qui paissent parmi les lis. Avant que souffle la brise du jour et que les ombres fuient, j'irai à la montagne de la myrrhe et à la colline de l'encens. Tu es toute belle, mon amie, en toi, pas de défaut. (4,1-7).

Qu'a ton bien-aimé de plus qu'un autre, O la plus belle des femmes ? Qu'a ton bien-aimé de plus qu'un autre, Pour que tu nous conjures ainsi ? -Mon bien-aimé est blanc et vermeil ; Il se distingue entre dix mille. Sa tête est de l'or pur ; Ses boucles sont flottantes, Noires comme le corbeau. Ses yeux sont comme des colombes au bord des ruisseaux, Se baignant dans le lait, Reposant au sein de l'abondance. Ses joues sont comme un parterre d'aromates, Une couche de plantes odorantes ; Ses lèvres sont des lis, D'où découle la myrrhe. Ses mains sont des anneaux d'or, Garnis de chrysolithes ; Son corps est de l'ivoire poli, Couvert de saphirs ; 5Ses jambes sont des colonnes de marbre blanc, Posées sur des bases d'or pur. Son aspect est comme le Liban, Distingué comme les cèdres. Son palais n'est que douceur, Et toute sa personne est pleine de charme. Tel est mon bien-aimé, tel est mon ami, Filles de Jérusalem ! – (5,9-16).

Il y a soixante reines, quatre-vingts concubines, Et des jeunes filles sans nombre. Une seule est ma colombe, ma parfaite ; Elle est l'unique de sa mère, La préférée de celle qui lui donna le jour. Les jeunes filles la voient, et la disent heureuse ; Les reines et les concubines aussi, et elles la louent. - Qui est celle qui apparaît comme l'aurore, Belle comme la lune, pure comme le soleil, Mais terrible comme des troupes sous leurs bannières ? – (6,8-10).

Que tes pieds sont beaux dans ta chaussure, fille de prince ! Les contours de ta hanche sont comme des colliers, Oeuvre des mains d'un artiste. Ton sein est une coupe arrondie, Où le vin parfumé ne manque pas ; Ton corps est un tas de froment, Entouré de lis. Tes deux seins sont comme deux faons, Comme les jumeaux d'une gazelle. Ton cou est comme une tour d'ivoire ; Tes yeux sont comme les étangs de Hesbon, Près de la porte de Bath Rabbim; Ton nez est comme la tour du Liban, Qui regarde du côté de Damas. Ta tête est élevée comme le Carmel, Et les cheveux de ta tête sont comme la pourpre ; Un roi est enchaîné par des boucles !... Que tu es belle, que tu es agréable, O mon amour, au milieu des délices ! (7,1-7).

Le désir

Elle : Qu’il m’embrasse à pleine bouche ! (1, 2).

  Elle : Mon bien-aimé est pour moi un bouquet de myrrhe, Qui repose entre mes seins. Mon bien-aimé est pour moi une grappe de troène Des vignes d'En Guédi. (1,13-14).

Elle : Et son fruit est doux à mon palais. Il m'a fait entrer dans la maison du vin ; Et la bannière qu'il déploie sur moi, c'est l'amour. Soutenez-moi avec des gâteaux de raisins, Fortifiez-moi avec des pommes ; Car je suis malade d'amour. Que sa main gauche soit sous ma tête, Et que sa droite m'embrasse ! (2,3-6).

Elle : Mon bien-aimé est à moi, et je suis à lui ; Il fait paître son troupeau parmi les lis. Avant que le jour se rafraîchisse, Et que les ombres fuient, Reviens !... sois semblable, mon bien-aimé, A la gazelle ou au faon des biches, Sur les montagnes qui nous séparent. (2,16-17).

Elle : Sur ma couche, pendant les nuits, J'ai cherché celui que mon coeur aime ; Je l'ai cherché, et je ne l'ai point trouvé...Je me lèverai, et je ferai le tour de la ville, Dans les rues et sur les places ; Je chercherai celui que mon coeur aime... Je l'ai cherché, et je ne l'ai point trouvé. Les gardes qui font la ronde dans la ville m'ont rencontrée : Avez-vous vu celui que mon coeur aime ? A peine les avais-je passés, Que j'ai trouvé celui que mon coeur aime ; Je l'ai saisi, et je ne l'ai point lâché Jusqu'à ce que je l'aie amené dans la maison de ma mère, Dans la chambre de celle qui m'a conçue. (3,1-4).

Lui : Tu me rends fou, ma sœur, ô fiancée, tu me rends fou par une seule de tes regards, par un seul de tes colliers à ton cou. Que tes caresses sont belles, ma sœur, ô fiancée ! Que tes caresses sont meilleures que du vin, et la senteur de tes parfums, que tous les baumes ! Tes lèvres distillent du nectar, ô fiancée ; du miel et du lait sont sous ta langue ; et la senteur de tes vêtements est comme la senteur du Liban. Tu es un jardin verrouillé, ma sœur, ô fiancée ; une source verrouillée, une fontaine scellée ! (4,9-12).

Elle : Je suis une fontaine de jardins, un puits d’eaux courantes, ruisselant du Liban ! Eveille-toi, Aquilon ! Viens, Autan ! Fais respirer mon jardin, et que ses baumes ruissellent ! Que mon chéri vienne à son jardin et en mange les fruits de choix !(4,15-16).

Lui : J'entre dans mon jardin, ma soeur, ma fiancée ; Je cueille ma myrrhe avec mes aromates, Je mange mon rayon de miel avec mon miel, Je bois mon vin avec mon lait... Choeur : Mangez, amis, buvez, enivrez-vous d'amour ! Elle : J'étais endormie, mais mon coeur veillait... C'est la voix de mon bien-aimé, qui frappe : Lui : Ouvre-moi, ma soeur, mon amie, Ma colombe, ma parfaite ! Car ma tête est couverte de rosée, Mes boucles sont pleines des gouttes de la nuit. Elle : J'ai ôté ma tunique ; comment la remettrais-je ? J'ai lavé mes pieds ; comment les salirais-je ? Mon bien-aimé a passé la main par la fenêtre, Et mes entrailles se sont émues pour lui. Je me suis levée pour ouvrir à mon bien-aimé ; Et de mes mains a dégoutté la myrrhe, De mes doigts, la myrrhe répandue Sur la poignée du verrou. J'ai ouvert à mon bien-aimé ; Mais mon bien-aimé s'en était allé, il avait disparu. J'étais hors de moi, quand il me parlait. Je l'ai cherché, et je ne l'ai point trouvé ; Je l'ai appelé, et il ne m'a point répondu. (5,1-6).

Elle : Mon bien-aimé est descendu à son jardin, Au parterre d'aromates, Pour faire paître son troupeau dans les jardins, Et pour cueillir des lis. Je suis à mon bien-aimé, et mon bien-aimé est à moi; Il fait paître son troupeau parmi les lis. Lui : Tu es belle, mon amie, comme Thirtsa, Agréable comme Jérusalem, Mais terrible comme des troupes sous leurs bannières. Détourne de moi tes yeux, car ils me troublent. (6,2-5).

Elle : mon désir m'a rendue semblable Aux chars de mon noble peuple. (6,12).

Lui : Ta taille ressemble au palmier, Et tes seins à des grappes. Je me dis: Je monterai sur le palmier, J'en saisirai les rameaux! Que tes seins soient comme les grappes de la vigne, Le parfum de ton souffle comme celui des pommes, Et ta bouche comme un vin excellent... Elle : Qui coule aisément pour mon bien-aimé, Et glisse sur les lèvres de ceux qui s'endorment ! Je suis à mon bien-aimé, Et ses désirs se portent vers moi. (7,7-10).

Elle : Mets-moi comme un sceau sur ton coeur, Comme un sceau sur ton bras; Car l'amour est fort comme la mort, La jalousie est inflexible comme le séjour des morts; Ses ardeurs sont des ardeurs de feu, Une flamme de l'Éternel. Les grandes eaux ne peuvent éteindre l'amour, Et les fleuves ne le submergeraient pas; Quand un homme offrirait tous les biens de sa maison contre l'amour, Il ne s'attirerait que le mépris. (8,6-7).

Un hymne à la création

Le Cantique des cantiques se présente comme un second récit de la création. Il est annoncé dès la création. Il se situe dans le sillage du sacrement primordial dont parle la Genèse, comme le souligne Jean-Paul II :

Le Cantique des Cantiques se trouve certainement dans le sillage de ce sacrement où, par le 'langage des corps', se constitue le signe visible de la participation de l’homme et de la femme à l’alliance de la grâce et de l’amour que Dieu offre à l’homme (La Documentation catholique, 1878, 1984, p. 754). 

Les premières paroles de l’homme dans la Genèse expriment un sentiment d’admiration et de séduction (Gn 2, 23). Les mêmes sentiments traversent le Cantique des cantiques. Ce poème poursuit l’extase de la reconnaissance de l’homme devant la femme et décrit la reconnaissance de la femme devant l’homme.

Le corps, dépouillé de tout sentiment de culpabilité, devient un lieu d’extase. Les amants se révèlent leur passion réciproque dans la fascination des corps. Toutes leurs paroles sont imprégnées de cette attirance corporelle. Les mots d’amour qu’ils prononcent tous les deux se concentrent sur le corps. Les deux amants décrivent le corps de leur bien-aimé en comparant les membres à des éléments de la nature pour en marquer davantage la visibilité. Chez la femme, une part de son mystère demeure inaccessible et inviolable.

Un désir jamais satisfait

La rencontre des corps se dessine en un jardin mystérieux. Seule la femme possède la clé de son propre jardin. Comme dit Jean-Paul II :

la fiancée se présente aux yeux de l'homme comme la maîtresse de son propre mystère (TDC110).

Ainsi la communion des personnes ne peut se vivre que dans la liberté d’une invitation : « Que mon bien-aimé entre dans son jardin et en goûte les délices ». La consommation n'est pas explicitement affirmée. Tout le poème suggère la possession mutuelle sur fond de distance toujours respectée.

Cf. P. RICOEUR, Penser la bible, Seuil, 1998, p. 419 : Ce jeu de la distance (6,1; 7,1; 7,12) rehausse les moments de mutuelle possession, que le poème, encore une fois, ne décrit pas, ne montre pas, mais seulement évoque, au sens le plus fort du mot : «Son bras gauche est sous ma tête et sa droite m'étreint» (2,6 et 8,3); et encore : «Mon bien-aimé est à moi, et moi à lui. Il paît son troupeau parmi les lys» (2,16); (6,3). L'amour charnel est peut-être consommé en 5,1 ou en 6,3; ou en 6,3; or cela n'est pas dit sur le mode descriptif, mais chanté; on peut alors se demander si la véritable consommation n'est pas dans le chant lui-même. Et si le véritable dénouement est en 5,6 : « Pose-moi comme un sceau sur ton cœur/Comme un sceau sur ton bras », alors l'important n'est pas la consommation charnelle jamais décrite, jamais racontée, mais le vœu d'alliance signifié par le « sceau » qui est l'âme du nuptial, âme qui aurait pour chair la consommation physique seulement chantée. Mais, quand le nuptial est investi dans l'érotique, la chair est âme et l'âme est chair.

Comme dans les récits de la création, Il n’est pas encore question de famille, ni d’enfant. Les deux partenaires s’appartiennent l’un à l’autre (2,16), mais dans le règne de l’éros. La description du cadre et de l’atmosphère esquisse les contours d’un univers paradisiaque.

Ici ne règne ni l’innocence, ni le péché, ni une concupiscence théologique, mais le pur éros, isolé et maintenant jaillissant comme puissance intense de la création (H. URS VON BALTHASAR, La gloire et la croix, III, Théologie, Ancienne Alliance, Aubier, 1974, p. 119). 

Les amants se meuvent dans le cercle tracé de leur amour. L’éros oublie Dieu et déploie ses dimensions. Dieu n’est pas nié. Bien au contraire, il est magnifié à travers la beauté de son oeuvre. Le qualificatif « beau » (yaphi) est d’ailleurs fréquemment employé pour désigner l’apparence humaine. Cette beauté rayonne autant des différents membres du corps que de la personne tout entière (4,1).

Le corps est continuellement en mouvement, toujours en quête de l’autre. Lui, n’est-il pas une gazelle bondissante ? (2,9). Ce mouvement incessant révèle l’éros lui-même, toujours en quête de l’autre. Les amants du Cantique des cantiques se recherchent, se rencontrent pour à nouveau se perdre dans une ronde sans fin (5,6). L’autre demeure à jamais insaisissable. Cette dynamique du désir révèle l’impossibilité de prendre possession du corps de l’autre. Ils ne cessent de tendre vers quelque chose d’indéfinissable qui dépasse le contenu de l’immédiateté et qui franchit les limites de l’éros.

Dans le Cantique des Cantiques, le langage du corps est inséré dans le processus particulier de l'attraction mutuelle de l'homme et de la femme qu'expriment les nombreux chants du Cantique, qui parlent fréquemment de recherche pleine de nostalgie d'affectueuse sollicitude Ct 2,7 et de réciproques retrouvailles des époux Ct 5,2. Cela leur apporte joie et quiétude et semble les entraîner à une recherche continuelle. On a l'impression qu'en se rencontrant, en se rejoignant, en expérimentant leur propre voisinage, ils ne cessent de tendre vers quelque chose : ils cèdent à l'appel de quelque chose qui dépasse le contenu du moment, et qui franchit les limites de l'éros. Cette recherche a une dimension intérieure : le coeur veille même dans le sommeil. Cette aspiration née de la beauté intégrale, de la pureté absolument sans tache; c'est la recherche d'une perfection contenant, peut-on dire, la synthèse de la beauté humaine, beauté de l'âme et du corps.

Dans le Cantique des Cantiques l'éros humain révèle le visage de l'amour toujours en recherche et jamais satisfait. L'écho de cette inquiétude envahit les strophes du petit poème : "J'ai ouvert à mon bien-aimé, - mais mon bien-aimé avait disparu, il était passé ! - Je l'ai cherché et ne l'ai point trouvé - je l'ai appelé et il ne m'a pas répondu" Ct 5,6 - "Je vous adjure, filles de Jérusalem - si vous trompez mon bien-aimé - que lui annoncerez-vous - sinon que je suis malade d'amour ? Ct 5,9.

Donc, quelques strophes du Cantique des Cantiques présentent l'éros comme la forme de l'amour humain dans lequel opèrent les énergies du désir. Et c'est en elles que s'enracine la conscience, c'est-à-dire la certitude subjective de l'appartenance réciproque, fidèle et exclusive. Mais en même temps, un grand nombre d'autres strophes nous forcent à réfléchir sur les causes de la recherche et de l'inquiétude qui accompagnent la conscience d'appartenir l'un à l'autre. Cette inquiétude fait-elle aussi partie de la nature de l'éros ? … Dans cette dynamique d'amour, se révèle indirectement la quasi-impossibilité pour une personne de s'emparer, de prendre possession d'une autre personne. La personne est un être qui dépasse absolument toutes les mesures d'appropriation et de propriété, de possession et de satisfaction qui émergent du langage du corps lui-même. Jean-Paul II, TDC 111.