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Dieu après Auschwitz

Beaucoup de déportés dans les camps de concentration ont crié « papa » ou prié le Tout-puissant durant leur agonie. Mais ni l’un ni l’autre ne sont intervenus. Écoutons les témoins de l’ignominie. À travers les blessures de leur chair et de leur âme, ils nous interpellent et leurs cris vers le Dieu tout-puissant retentissent encore aujourd’hui.

Auschwitz révèle l’impasse dans laquelle se trouve la conception traditionnelle du Dieu tout-puissant. Est-il tout simplement encore possible de croire en Dieu après un tel holocauste ? Le Dieu tout-puissant est parti en fumée dans les camps de la mort, accompagné de millions de victimes. Auschwitz symbolise la négation de l’humanité à l’image de Dieu. Elie Wiesel assiste avec des détenus à la pendaison d’un enfant. L’agonie n’en finit pas, car l’enfant est trop léger pour mourir sur le coup. Un détenu se demande où est Dieu. Elie Wiesel répond intérieurement :

Et je sentais en moi une voix qui lui répondait : - Où il est ? Le voici - il est pendu ici, à cette potence.

Comme le suggère Maurice Zundel :

Combien de temps nous faudra-t-il encore pour nous défaire de cette idole qui est justement la représentation de Dieu sous la forme d’une puissance qui domine et qui peut écraser ? Combien de temps nous faudra-t-il encore pour comprendre que Dieu est désarmé, qu’Il est fragile, que n’importe qui peut Le tuer ! Et c’est nous qui le crucifions sans cesse par nos refus d’amour ! Et qu’il ne cessera jamais pour autant de nous attendre et de nous aimer !

Ce n’est pas seulement l’image d’un Dieu de gloire omnipotent qui meurt à Auschwitz ; c’est aussi l’idée d’un Dieu permissif qui s’écroule. Avec ce drame, nous ne pouvons plus croire que Dieu soit simplement resté dans le ciel, les bras croisés en nous laissant une autonomie jusque dans cette permission de l’ignominie. Dieu ne permet pas le mal. Il ne l’autorise pas. Hans Jonas, philosophe juif, se fait l’écho des cris de l’horreur dans les camps de la mort. Pour ce descendant des victimes d’Auschwitz, Dieu ne peut pas intervenir parce qu’il s’est dépouillé de tout pouvoir d’intervention :

Mais Dieu, lui s’est tu…. S’il n’est pas intervenu, ce n’est point qu’il ne voulait pas, mais parce qu’il ne le pouvait pas. Je propose… l’idée d’un dieu qui pour un temps – le temps que dure le processus continué du monde - s’est dépouillé de tout pouvoir d’immixtion dans le cours physique des choses de ce monde.

Primo Lévi, rescapé des camps de la mort, témoigne :

Aujourd'hui je pense que le seul fait qu'un Auschwitz ait pu exister devrait interdire à quiconque, de nos jours, de prononer le mot de Providence. Mais il est certain qu'alors les souvenirs des secours bibliques intervenus dans les pires moments d'adversité passa comme un souffle dans tous les esprits. (Si c'est un homme, Pocket, p. 246).

Un autre témoignage de Edith Bruck, Le pain perdu, Points, 2022, p. 141s.

Lettre à Dieu

Depuis la première lettre que j'avais pensé T'écrire à l'âge de neuf ans, quatre-vingts autres sont passés ! Et je me suis sentie rougir, aussi bien à cette époque qu'il y a deux nuits, pour cette même idée qui ne m'a jamais abandonnée. Cela me semblait être un blasphème que je n'avais jamais prononcé, peut-être un manque de pudeur ou une folie lucide. Mais maintenant je T'écris vraiment, tant que je vois. Je T'écris à Toi qui ne liras jamais mes gribouillis. ne répondras jamais à mes questions, à mes pensées ruminées pendant toute une vie. Des pensées élémentaires, petites, celles de l'enfant qui est en moi, qui n'ont pas grandi avec moi et n'ont pas vieilli avec moi, et n'ont donc pas beaucoup changé.

Je constate que chaque mot et chaque ligne tendent vers le haut de plus en plus et qui sait si elle n'arrivera pas jusqu'à Toi, que Tu sois là ou que Tu sois fait de silence, d'invisibilité et sans image pour Ton peuple auquel j'appartiens. Fille d'une mère qui ne T'a pas plus adressé la parole à Toi qu'à ses six enfants et à un mari coupable parce que pauvre. Enfants que, selon ma mère, Tu lui as donnés. Toi, et elle s'adressait à Toi en Te demandant tout : des chaussures, des manteaux, de la farine, de la viande pour shabbat et du sucre à la place de la saccharine pour notre thé au dîner. Il n'y avait rien qu'elle ne Te demandât : du bois pour le poêle froid, un toit nouveau pour la maison, un printemps précoce, un hiver moins rigoureux et des bottes pour papa, et que la boue argileuse ne lui arrache pas les semelles pendant ses voyages d'affaires, et qu'il ne rentre pas. comme presque toujours, les mains vides. Je T'avoue que ses requêtes m'agaçaient, que me mettaient hors de moi les discours continuels qu'elle T'adressait, à Toi qui ne l'as jamais aidée, pas même à faire passer sa constipation et toute rouge dans l'effort, elle me serrait les mains en T'évoquant. Je pensais que dans cette cabine en bois pourri elle n'aurait même pas dû Te nommer. Mais elle disait que Tu étais partout, mais si Tu étais partout en étant le Seul Unique. si Tu étais n'importe où, Tu n'étais nulle part car un est un.

Je T'interrogeais sur toutes sortes de choses, mais je n'ai jamais entendu Ta voix, à l'inverse de Moïse qui l'a entendue. Tu n'as jamais daigné me donner une seule réponse, pas plus qu'à ma mère malgré sa foi inébranlable en Toi. Contrairement à moi, qui doutais et qui étais à la merci du petit village depuis que j'avais ouvert les yeux sur le monde qui nous était hostile, comme la chose la plus naturelle qui soit. Et si Tu voyais tout, si Tu étais tout, yeux, oreilles, comment n'as-Tu pas vu notre épreuve ?

A quoi servent les prières si elles ne changent rien ni personne, si Tu ne peux rien faire et si Tu n'entends pas, ne vois pas ou si Tu es l'invention d'un esprit supérieur, inimaginable, à moins que ce ne soit Toi qui T'es inventé Toi-même ? Moi, qui ai toujours écrit d'un jet, jour après jour, maintenant je m'arrête soudain la main suspendue ou le regard fixe dans le vide, c'est dans le vide que je Te cherche. Nous n'avons, nous, ni Purgatoire ni Paradis, mais l'Enfer, je l'ai connu, où le doigt de Mengele indiquait la gauche qui était le feu et la droite qui était l'agonie du travail forcé, les expérimentations et la mon de faim et de froid. Les cas de survie sont advenus sans mérite, ou si ça se trouve, aux dépens de la vie d'autrui, ou au service de l'ennemi. Pourquoi n'as-tu pas brisé ce doigt ?

Lors de sa visite à Auschwitz le 29 juillet 2016, le pape François reste silencieux par pudeur, parce qu’il est impossible d’exprimer l’excès de l’horreur par des mots. Face à un drame aussi épouvantable, le silence de l’homme résonne dans le silence de Dieu. Un silence qui se fait cri. Quelques années auparavant, Benoît XVI s’était excusé de prendre la parole :

Prendre la parole dans ce lieu d’horreur, d’accumulation de crimes contre Dieu et contre l’homme, lieu qui est sans égal au cours de l’histoire, est presque impossible - et particulièrement difficile et opprimant pour un chrétien, pour un Pape qui vient d’Allemagne. Dans un lieu comme celui-ci, les paroles manquent ; en réalité, il ne peut y avoir qu’un silence effrayé - un silence qui est un cri intérieur vers Dieu : Pourquoi, Seigneur, es-tu resté silencieux ? Pourquoi as-tu pu tolérer tout cela… ? Combien de questions nous envahissent en ce lieu ! La même question revient toujours à nouveau : où était Dieu en ces jours-là ? Pourquoi s’est-il tu ? Comment a-t-il pu tolérer cet excès de destruction, ce triomphe du mal ?

Dieu nous appelle dans le silence de sa vulnérabilité. N’est-ce pas à nous d’aider Dieu, à nous de panser ses blessures ? Il attend tout de nous. Etty Hillesum, femme juive décédée à Auschwitz, témoigne de cette conviction que c’est à nous d’aider Dieu :

Pour l’instant, à chaque jour suffit sa peine. Je vais t’aider, mon Dieu, à ne pas t’éteindre en moi, mais je ne puis rien garantir d’avance. Une chose m’apparaît cependant de plus en plus claire : ce n’est pas toi qui peux nous aider, mais nous qui pouvons t’aider – et ce faisant nous nous aidons nous-mêmes… Oui, mon Dieu, tu sembles assez peu capable de modifier une situation finalement indissociable de cette vie. Je ne t’en demande pas compte, c’est à toi au contraire de nous appeler à rendre des comptes, un jour. Il m’apparaît de plus en plus clairement à chaque pulsation de mon cœur que tu ne peux pas nous aider, mais que c’est à nous de t’aider et de défendre jusqu’au bout la demeure qui t’abrite en nous .

Maurice Zundel prolonge cette idée d’un Dieu faible et fragile qu’il faut sauver :

Dieu est un Dieu de faiblesse, un Dieu que chacun de nous peut tuer ; rien n’est plus facile, car il ne peut pas se défendre. Il peut donner la vie. Il ne peut pas inventer la mort. Il peut mourir, il ne peut pas faire périr… C’est Dieu qui est victime, c’est Dieu qui meurt, c’est Dieu qu’il faut sauver .

N’est-ce pas en fin de compte le message de Jésus ?

sur ce thème voir les développements dans le livre, Dieu tout puissant, mythe ou réalité ?

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