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Le livre de Job

Formation du livre

Vers 1200-1100 avant JC : naissance d’un conte populaire en Jordanie ou dans la région d’Edom (Sud-Est de la mer morte). Ce conte est constitué du prologue et de l’épilogue.

Vers 500-470, donc peu après l’exil, un sage judéen insère à l’intérieur du conte une longue réflexion théologique sous la forme d’un poème structuré en 3 dialogues. Job intervient 10 fois et ses trois amis (Eliphaz, Bildad et Cophar) interviennent 3 fois chacun. Le poème se termine par le discours de Dieu des chapitres 38 à 42.

Vers 450 addition du discours d’Elihu (32-37). Ce discours a une valeur apologétique. Elle insiste sur la valeur éducatrice de la souffrance.

Vers 400-300, un beau poème sur la Sagesse (28) est inséré.

Le personnage de Job n’est pas historique. Il représente la figure universelle de l’innocent qui souffre.

Les acteurs en présence

Job : personnage central du conte. Le drame se joue dans une grande partie du livre autour de sa personne et de sa souffrance. Puis il passe au second plan.

Dieu : Il lance le drame sous la forme d’une autorisation puis se fait discret tant que Job joue le personnage central. Dieu crée le monde puis le laisse suivre ses chemins. S’il intervient, ce n’est que pour rappeler ce qu’est la création.

Le Satan : C’est par lui que le malheur arrive. Il symbolise le mal. S’il est uniquement présent dans le prologue, il tient sa place sous la forme de la souffrance et d’un questionnement dans tout le reste du conte.

Les amis de Job : Ce sont les avocats de la doctrine officielle. La femme de Job joue également ce rôle ; elle ne fait qu'une seule apparition.

Dieu rétributeur

Ps 7,9-11 Yahvé est l'arbitre des peuples. Juge-moi, Yahvé, selon ma justice et selon mon intégrité. Mets fin à la malice des impies, confirme le juste, toi qui sondes les cœurs et les reins, ô Dieu le juste! Dieu le juste juge, lent à la colère, mais Dieu en tout temps menaçant ».

La bible nous présente l’image d’un Dieu juge qui délibère en sa transcendance et sa souveraineté. En tant que magistrat suprême, Dieu porte un jugement sur les actions humaines. Quels sont ses verdicts ? Dans une perspective humaine, il paraîtrait logique que les bons soient récompensés et que les méchants soient punis, que le juste vive dans la prospérité et la santé et que le méchant vive dans l’indigence et la souffrance, que la vierge Marie soit au paradis et que Judas aille en enfer. La bible n’échappe pas à une telle vision du jugement. Dieu juge à la fois les bonnes et les mauvaises actions. Dieu paye chacun suivant ses œuvres ; il punit et récompense, selon que l’homme est pécheur ou juste. Ce principe de la rétribution se répète inlassablement dans la bible à travers une logique comptable, avec des débits et des crédits. Dieu rétribue l’homme en fonction d’un code de bonne conduite :

2 Ch 6,23 Toi, écoute depuis le ciel; agis, juge entre tes serviteurs, punis le coupable en faisant retomber sa conduite sur sa tête, et déclare juste le juste en le traitant selon sa justice.
Pr 11,18 Le méchant recueille un salaire décevant, une récompense est assurée à qui sème la justice.
Pr 13,21 Le mal poursuit les pécheurs et le bien récompense les justes.
Pr 12,21 Aucun malheur n’arrive au juste, mais les méchants sont accablés de maux.
Pr 5,22-23 Le méchant est pris dans ses propres iniquités, il est saisi par les liens de son péché. Il mourra faute d’instruction, il chancellera par l’excès de sa folie.

Dans la bible, la maladie est vue comme la conséquence du péché.

Si tu écoutes attentivement l’Éternel, ton Dieu (…), je ne te frapperai d’aucune des maladies dont j’ai frappé les Égyptiens . Ex 15, 26.
Crains l’éternel et détourne-toi du mal : cela apportera la guérison à ton corps. Pr 3, 7-8.

Dans la mentalité religieuse du peuple d’Israël, toute la vie est imprégnée de religion et de justice divine. La moindre maladie est analysée comme la conséquence du péché. Et si le malade est innocent, alors la cause est à chercher dans ses ascendants. Bien des générations passeront avant que ces propos de Jérémie ne deviennent réalité :

Jr 31,29-30 En ces jours-là on ne dira plus les pères ont mangé des raisins verts, et les dents des fils sont agacées. Mais chacun mourra pour sa propre faute. Tout homme qui aura mangé des raisins verts, ses propres dents seront agacées.

Jésus le rappelle :

Jn 9,1-3 En passant, il vit un homme aveugle de naissance. Ses disciples lui demandèrent : Rabbi, qui a péché, lui ou ses parents, pour qu'il soit né aveugle ? Jésus répondit : « Ni lui ni ses parents n'ont péché… »

Certains versets de l’Ancien Testament laissent entendre que la désobéissance à Dieu nous assujettit à la maladie ou à la mort. Les maux apparaissent ainsi, par endroits, comme l’expression d’un châtiment divin. Difficilement soutenables pour nos mentalités contemporaines, « ces représentations de la maladie sont cohérentes avec celles du Proche-Orient ancien : elles sont liées à la manière dont les hommes pensaient, à l’époque, le monde et les forces qui le gouvernent », précise la théologienne Céline Rohmer. Une telle doctrine est aujourd’hui rejetée. Le péché est un acte mauvais voulu, alors que la maladie n’est ni un acte ni voulue : elle est un état subi. Il donc blasphématoire de dire que Dieu manipule la maladie, les troubles psychiques ou le handicap comme un instrument de punition de l'humanité pécheresse. Stigmatiser le malade en faisant de lui un pécheur revient à fourbir les armes d'un dieu punisseur qui dissout les solidarités, rompt les équilibres dans la société et autorise tous les processus d'exclusion : hier les lépreux, aujourd'hui les victimes du sida. La maladie ne relève d'aucune complicité de Dieu, la création est et reste bonne. Le monde est simplement cassé, il importe donc d'en rétablir l'harmonie. Lésion de l'alliance, la maladie dévoile le visage d'un Dieu soucieux de l'homme et pousse l'homme à un surcroît de bonté, à une « hémorragie du pour-l'autre » (Levinas).

Cette théologie de la rétribution révèle un profond désir de justice : le méchant doit être puni et sa souffrance n’est finalement que justice. Le Dieu de la bible semble correspondre à cette théorie. Dieu paye chacun suivant ses œuvres ; il punit et récompense, selon que l’homme est pécheur ou juste. Nous connaissons tous cette sentence : « C’est bien fait, c’est le bon Dieu qui t’a puni ». Dans le tremblement de terre de Lisbonne le 1er novembre 1755, Voltaire s’interroge alors que les églises s’écroulent sur les nombreux fidèles venus célébrer la Toussaint :

Direz-vous, en voyant cet amas de victimes :
« Dieu s’est vengé, leur mort est le prix de leurs crimes ? »
Quel crime, quelle faute ont commis ces enfants
Sur le sein maternel écrasés et sanglants?

Mais Dieu ne se laisse pas enfermer dans cette image. Le livre de Job dénonce la théologie de la rétribution et ouvre d’autres perspectives.

Le Satan défie Job

L’expression « pauvre comme Job » a fait son chemin à travers les siècles. Et pourtant à lire l’histoire jusqu’à son épilogue, on y découvre un Job bien plus riche qu’au début de l’aventure. Mais entre les deux extrêmes de ce conte se déroule un drame injuste, contre lequel Job se révolte et ses propos retentissent dans la bouche de tous ceux qui souffrent. Déroulons l’histoire de cet homme qui est un peu chacun de nous, afin de découvrir l’image d’un Dieu qui intervient sous une forme inattendue.

Job est un homme intègre et droit qui connaît la prospérité et le bonheur. Sa richesse dépasse toutes les fortunes d’Orient ; sa descendance compte sept fils et trois filles. Il est béni de Dieu et il rend à Dieu l’honneur et la louange qui lui revient à travers des sacrifices. Mais ces rites et prières sont-ils le fruit d’une dévotion sincère ? Job agirait-il de même à l’égard de Dieu s’il était pauvre et malade ? Tel est l’enjeu que provoque l’intervention du Satan :

Job 1,1-12 Il y avait dans le pays d'Uts un homme qui s'appelait Job. Et cet homme était intègre et droit; il craignait Dieu, et se détournait du mal. Il lui naquit sept fils et trois filles. Il possédait sept mille brebis, trois mille chameaux, cinq cents paires de boeufs, cinq cents ânesses, et un très grand nombre de serviteurs. Et cet homme était le plus considérable de tous les fils de l'Orient. … Et quand les jours de festin étaient passés, Job appelait et sanctifiait ses fils, puis il se levait de bon matin et offrait pour chacun d'eux un holocauste; car Job disait: Peut-être mes fils ont-ils péché et ont-ils offensé Dieu dans leur coeur. C'est ainsi que Job avait coutume d'agir. Or, les fils de Dieu vinrent un jour se présenter devant l'Éternel, et le Satan vint aussi au milieu d'eux. L'Éternel dit au Satan: D'où viens-tu? Et le Satan répondit à l'Éternel: De parcourir la terre et de m'y promener. L'Éternel dit au Satan: As-tu remarqué mon serviteur Job? Il n'y a personne comme lui sur la terre; c'est un homme intègre et droit, craignant Dieu, et se détournant du mal. Et le Satan répondit à l'Éternel: Est-ce d'une manière désintéressée que Job craint Dieu? Ne l'as-tu pas protégé, lui, sa maison, et tout ce qui est à lui? Tu as béni l'oeuvre de ses mains, et ses troupeaux couvrent le pays. Mais étends ta main, touche à tout ce qui lui appartient, et je suis sûr qu'il te maudit en face. L'Éternel dit au Satan: Voici, tout ce qui lui appartient, je te le livre; seulement, ne porte pas la main sur lui. Et le Satan se retira de devant la face de l'Éternel.

La première phrase du livre de Job donne le ton : ''Il y avait…'', devons-nous entendre : ''Il était une fois…'' comme dans les contes ? Job, c’est un peu chacun de nous face à Dieu, face au mystère du mal qui nous surprend à l’improviste.

Dans le livre de Job, on ne dira pas Satan, mais « le Satan ». On pourrait traduire par l’adversaire, l’accusateur. Il est l’adversaire des hommes, mais pas encore celui de Dieu dont il dépend totalement : il appartient à la cour céleste et ne peut rien contre Job sans la permission de Dieu. Il n’est pas encore le diable de la théologie juive et chrétienne, mais un prince de la cour. Les v. 6 à 12 le présentent comme une figure déplaisante, un accusateur, qui met en doute la sincérité des actions humaines et qui critique l’optimisme du Seigneur lui-même. Job, l’homme juste, ne serait pas sincère. Le Satan demande donc une mise à l’épreuve, persuadé que la foi de Job ne résistera pas. Dieu accepte le marché et donne les pouvoirs au Satan pour mettre Job à l’épreuve. Dès lors Job est accablé de tous les maux. Il perd tout d’abord sa fortune, puis ses enfants. Mais Job continue à bénir Dieu :

Jb 1,20-21 « Alors Job se leva, déchira son vêtement et se rasa la tête. Puis, tombant sur le sol, il se prosterna et dit: "Nu, je suis sorti du sein maternel, nu, j'y retournerai. Yahvé avait donné, Yahvé a repris: que le nom de Yahvé soit béni!" »

Le marché se poursuit. Le Satan s’attaque à l’intégrité physique de Job et le frappe d’un ulcère au point de ne plus être reconnu par ses amis. Là encore Job ne renie pas sa foi en Dieu, de surcroît remise en cause par sa femme qui lui souhaite la mort :

Jb 1,20-2,9 Alors Job se leva, déchira son manteau, et se rasa la tête; puis, se jetant par terre, il se prosterna, et dit: Je suis sorti nu du sein de ma mère, et nu je retournerai dans le sein de la terre. L'Éternel a donné, et l'Éternel a ôté; que le nom de l'Éternel soit béni En tout cela, Job ne pécha point et n'attribua rien d'injuste à Dieu. Or, les fils de Dieu vinrent un jour se présenter devant l'Éternel, et le Satan vint aussi au milieu d'eux se présenter devant l'Éternel. L'Éternel dit au Satan: D'où viens-tu? Et le Satan répondit à l'Éternel : De parcourir la terre et de m'y promener. L'Éternel dit au Satan: As-tu remarqué mon serviteur Job? Il n'y a personne comme lui sur la terre; c'est un homme intègre et droit, craignant Dieu, et se détournant du mal. Il demeure ferme dans son intégrité, et tu m'excites à le perdre sans motif. Et le Satan répondit à l'Éternel: Peau pour peau! tout ce que possède un homme, il le donne pour sa vie. Mais étends ta main, touche à ses os et à sa chair, et je suis sûr qu'il te maudit en face. L'Éternel dit au Satan: Voici, je te le livre: seulement, épargne sa vie. Et Satan se retira de devant la face de l'Éternel. Puis il frappa Job d'un ulcère malin, depuis la plante du pied jusqu'au sommet de la tête. Et Job prit un tesson pour se gratter et s'assit sur la cendre. Sa femme lui dit: Tu demeures ferme dans ton intégrité! Maudis Dieu, et meurs ! Mais Job lui répondit: Tu parles comme une femme insensée. Quoi! nous recevons de Dieu le bien, et nous ne recevrions pas aussi le mal! En tout cela Job ne pécha point par ses lèvres.

Job finit par craquer devant l’intensité de la souffrance. Ses paroles sont alors celles d’un homme désespéré d’être né et souhaitant mourir, avec toutefois toujours ce désir de rester fidèle à Dieu :

Jb 3,1-12 Enfin Job ouvrit la bouche et maudit le jour de sa naissance. Il prit la parole et dit: Périsse le jour qui me vit naître et la nuit qui a dit: "Un garçon a été conçu."… Cette nuit-là, qu'elle soit stérile, qu'elle ignore les cris de joie! Pourquoi ne suis-je pas mort au sortir du sein, n'ai-je péri aussitôt enfanté? Pourquoi s'est-il trouvé deux genoux pour m'accueillir, deux mamelles pour m'allaiter?
Jb 5,8-10 Oh! que se réalise donc ma prière, que Dieu réponde à mon attente! Que Lui consente à m'écraser, qu'il dégage sa main et me supprime! J'aurai du moins cette consolation, ce sursaut de joie en de cruelles souffrances, de n'avoir pas renié les décrets du Saint.

Les arguments des amis

Les trois amis de Job, Çophar, Éliphaz et Bildad, auxquels s’ajoute Élihu, avancent des arguments pour justifier sa situation, notamment celui de la rétribution. Selon cette théologie, si le mal et la souffrance existent, c’est parce que l’homme est pécheur. Si l’innocent souffre, c’est qu’en réalité, il est coupable. Les amis de Job cherchent donc à démontrer que son état n’est que la conséquence d’une conduite désordonnée et d’une vie pécheresse :

Elifaz : «Cherche dans ton souvenir : quel est l’innocent qui a péri ? Quels sont les justes qui ont été exterminés ? Pour moi, je l’ai vu, ceux qui labourent l’iniquité et qui sèment l’injustice en moissonnent les fruits. (Jb 4,7-8).…La misère ne sourd pas de terre, la peine ne germe pas du sol. C’est l’homme qui engendre la peine » (Jb 5, 6-7).
Bildad : « Si tes fils ont péché contre lui (Dieu), il les a puni pour leurs fautes » (Jb 8,4). L’homme est une vermine, le fils d’homme un vermisseau » (cf. Jb 25, 6).
Sophar : « Si Dieu voulait parler…tu saurais que Dieu te demande compte de ta faute. Prétends-tu sonder la profondeur de Dieu ? » (Jb 11, 5-7).

Alors intervient Elihu qui, en quatre discours, développe une explication nouvelle : il y a des épreuves qui sont des expiations de fautes non reconnues, et d’autres dont le but est de purifier l’homme, de le rendre meilleur:

Dieu parle d’une façon et puis d’une autre…Par des songes, par des visions nocturnes, il parle à leurs oreilles (celle des hommes)…pour détourner l’homme de ses œuvres et mettre fin à son orgueil (Jb 33, 14-17).

Job ne démord pas : il croit en son intégrité, sa justice et sa sainteté et, tout au long de ses discours, il dénonce la théologie officielle de la rétribution qui affirme que la souffrance est la conséquence du péché. Job réfute cette hypothèse à travers deux arguments. Il soutient tout d’abord, contre l’avis de ses amis, qu’il a mené une vie droite. Et, comme tout homme, Job se demande « Qu’est ce que j’ai fait au bon Dieu pour mériter cela », car toute sa vie a été celle d’un homme attentif à la veuve, au pauvre, à l’orphelin, reconnaissant les droits de ses serviteurs, ouvrant sa porte aux voyageurs, fidèle à sa femme, sans fraude ni crime et impudicité, ne se réjouissant pas du malheur des autres, ne cherchant pas la joie dans sa fortune matérielle. Job est pur, sans transgression, net et sans faute. Alors pourquoi ? :

Jb 7,20 Si j'ai péché, que t'ai-je fait, à toi, l'observateur attentif de l'homme? Pourquoi m'as-tu pris pour cible, pourquoi te suis-je à charge?
Jb 34,6 Une flèche m'a blessé sans que j'ai péché.
Bien loin de vous donner raison, jusqu’à mon dernier souffle, je maintiendrai mon innocence » (Jb 27, 5)

Job reproche à Dieu son silence tout en se rendant compte qu’il n’est pas de taille à se justifier devant lui :

Jb 9,1 Job prit la parole et dit: En vérité, je sais bien qu'il en est ainsi: l'homme pourrait-il se justifier devant Dieu? A celui qui se plaît à discuter avec lui, il ne répond même pas une fois sur mille… Et moi, je voudrais me défendre, je choisirais mes arguments contre lui ? Même si je suis dans mon droit, je reste sans réponse; c'est mon juge qu'il faudrait supplier.

Ensuite, Job constate, comme d’autres auteurs bibliques, que les méchants prospèrent, que le malheur et la souffrance touchent tous les hommes :

Jb 21,7-13 Pourquoi les méchants restent-ils en vie, vieillissent-ils et accroissent-ils leur puissance? Leur postérité devant eux s'affermit et leurs rejetons sous leurs yeux subsistent. La paix de leurs maisons n'a rien à craindre, les rigueurs de Dieu les épargnent… Leur vie s'achève dans le bonheur, ils descendent en paix au shéol.
Qo 7,15 Dans ma vaine existence, j'ai tout vu: un juste qui se perd par sa justice, un méchant qui survit par sa malice.
Qo 8,14 Il est un fait, sur la terre, qui est vanité : il est des justes qui sont traités selon le fait des méchants, et des méchants qui sont traités selon le fait des justes.
Qo 9,2 Tout est pareil pour tous, un sort identique échoit au juste et au méchant, au bon et au pur comme à l'impur, à celui qui sacrifie et à celui qui ne sacrifie pas; il en est du bon comme du pécheur, de celui qui prête serment comme de celui qui craint de le faire.
Mt 5,45 Dieu fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et les injustes.

Néanmoins quelques paroles d’espoir :

Jb 19,25-26 Je sais, moi, que mon Défenseur est vivant, que lui, le dernier, se lèvera sur la poussière. Une fois qu'ils m'auront arraché cette peau qui est mienne, hors de ma chair, je verrai Dieu.

La théophanie

Job interpelle Dieu « pourquoi moi le juste suis-je condamné à souffrir » ? Longtemps Dieu l’écoute. Enfin il se décide à parler. Mais il ne résout pas directement le problème. Il parle de la création (38,1-7 ; 39,26 ; 40,3-14).

De quoi parle Dieu

Emprunts aux mythes de la création (terre sur les socles 38,6 ; la mer comme limite de la terre 38,8-11) ; des bêtes redoutables : Béhémoth et Léviathan, etc. On remarque surtout que Dieu est un bon animalier qui connaît bien les animaux sauvages. Il parle aussi de la lumière et des ténèbres, du vent de la neige, etc. On note que la forme est très souvent interrogative. Maintenant c’est au tour de Dieu de poser des questions. Elle est aussi descriptive. Elle n’est pas spéculative ; il ne s’agit pas d’une réflexion philosophique sur la souffrance. Il s’agit en somme d’une rencontre de deux libertés.

La rencontre de deux libertés

Job est reconnu dans sa liberté

Le fait même que s’établisse un dialogue témoigne d’une reconnaissance. Dieu reconnaît Job comme interlocuteur, comme aux patriarches et à Moïse. Job est un partenaire valable avec qui Dieu accepte d’entrer en relation. Le dialogue est néanmoins introduit sous une forme ironique ou tout au moins humoristique :

Jb 38,1-3 Yahvé répondit à Job du sein de la tempête et dit: Quel est celui-là qui obscurcit mes plans par des propos dénués de sens? Ceins tes reins comme un brave: je vais t'interroger et tu m'instruiras.

Job est réhabilité, d’ailleurs Dieu ne parle à aucun moment de tous les griefs dont l’accusaient ses trois amis.

Nous sommes dans un climat d’alliance

C’est le sens de la tempête (38,1), comme dans toute théophanie, en particulier celle du Sinaï (Ex 19,16).

D’ailleurs on commence à appeler Dieu Yahvé, et non plus Élohim ou Shaddaï. Yahvé est le Dieu de Moïse et de l’alliance. La réponse de Dieu constitue une restauration de l’alliance après le doute et l’agressivité de Job.

Dieu réaffirme sa liberté

C’est de sa propre initiative que Dieu crée. Il avait son dessein, son plan. La création dépend de sa providence (38,2). Il n’a de compte à rendre à personne. S’il accepte de parler à Job, c’est pour l’amener à prendre conscience de la transcendance de Dieu.

La mise en évidence des limites de l’homme

Limite temporelle

Job n’a pas assisté à la création (38,4). Il n’est contemporain que d’une partie de la geste créationnelle de Dieu. L’homme ne dispose donc que d’un aperçu partiel de la création. Ses pensées le portent sur l’immédiateté de ce qu’il ressent et lui est très difficile de se soustraire de son environnement pour avoir une idée globale de l’univers. Toutes ses réflexions se nouent autour de son corps souffrant et Dieu propose d’élargir cette vision à l’éternité de Dieu.

Dieu n’accuse pas Job d’une quelconque faute. Il n’évoque pas la théologie de la rétribution. Il place son réquisitoire sur le terrain de la création. Dieu parle de la création en faisant ressortir les limites humaines face à sa toute puissance et à sa sagesse. Ainsi, Job est limité à son environnement, à sa temporalité et à sa corporéité. Il n’a pas assisté à la création.

Jb 38,4-5 « Où étais-tu quand je fondai la terre? Parle, si ton savoir est éclairé.»

L’origine et la destinée ultime de la création échappent à Job. Le sens même de l’univers ne lui est pas donné, parce qu’il est créature et non pas Dieu, et parce qu’il est enfermé dans sa souffrance. Job ne perçoit que la création dans son inachèvement, c’est à dire en mouvement vers un devenir mystérieux. Si Dieu offre un panorama vertigineux de l’univers, c’est pour mieux souligner l’impossibilité de l’homme à tout appréhender. Une chose ne pourra jamais être accaparée par l’intelligence humaine : c’est la sagesse même de Dieu.

La réponse divine ne résout pas l’énigme du mal. Elle la déplace pour mettre Job face à l’immensité de la création. Job, comme chacun de nous, n’a pas les facultés pour comprendre le pourquoi de toute chose, car il n’est pas à l’origine du monde et n’en connaît pas le terme. Il est limité à son environnement, à sa temporalité et entièrement focalisé sur son corps souffrant. Il n’a pas assisté au commencement de l’univers (Jb 38,4). Il n’est donc contemporain que d’une infime partie de la création. Ses pensées le portent sur l’immédiateté de ce qu’il ressent. Job n’a pas la capacité de se soustraire de son environnement pour avoir une vue globale de l’univers. Toutes ses réflexions se nouent autour de son corps souffrant et Dieu propose d’élargir cette vision. N’est-ce pas là le rôle de tout bon psychologue ? Proposer de se décentrer de son mal ! Dans les instants de souffrance, nous ne voyons plus que le point douloureux alors que le monde continue de tourner ; le point douloureux devient le monde.

L’enseignement du livre de Job nous rappelle que les bornes de notre temps s’étendent à un avant et à un après. Le questionnement, aussi légitime soit-il, s’enracine dans un passé où nous n’étions pas encore et trouvera sa réponse définitive dans un avenir. Nous fréquentons une école de patience qui dépasse notre vie terrestre. Toute souffrance nous plonge dans une épreuve d’humilité. Pour comprendre sa vie, nous devons la vivre jusqu’à la fin et la contempler :

Il est pleinement vrai, comme le dit la philosophie, que pour comprendre la vie il faut regarder en arrière. Mais là on oublie l’autre affirmation qu’il faut la vivre en avant. Cette phrase — plus on y réfléchit — revient à dire que la vie n’est jamais pleinement compréhensible dans la temporalité, précisément parce que je ne puis à aucun moment posséder le repos parfait pour regarder en arrière. Søren KIERKEGAARD, Die Tagebücher, t. 3, Dusseldorf, Diederichs, 1968, p. 318. Cité par Sebastian GREIGNER, La prière est-elle toujours exaucée, 1991, NRT, 205, p. 851.

Nous n’avons jamais qu’une vision parcellaire de notre existence et de la création. Nous ne voyons le monde qu’avec le prisme de notre temporalité et de notre espace.

Limite du pouvoir

Chaque allusion à la geste créationnelle de Dieu souligne l’impuissance de Job. Quatorze fois revient la question « qui… ? » (Qui a fixé… Qui a engendré…).

Jb 38,3 Ceins tes reins comme un vaillant homme ; je t’interrogerai, et tu m’instruiras… Où étais-tu quand je fondais la terre ? Dis-le, si tu as de l'intelligence… Qui en a fixé les dimensions, le sais-tu? Ou qui a étendu sur elle le cordeau ?... La pluie a-t-elle un père? Qui fait naître les gouttes de la rosée ? … Connais-tu les lois du ciel ? Règles-tu son pouvoir sur la terre? Qui a mis la sagesse dans le coeur, ou qui a donné l'intelligence à l'esprit ? Qui prépare au corbeau sa pâture, quand ses petits crient vers Dieu… De qui suis-je le débiteur? Je le paierai. Sous le ciel tout m'appartient.

La réponse est invariablement Dieu et peu à peu le champ du pouvoir de Job se rétrécit comme une peau de chagrin, jusqu’à cette prise de conscience que ses paroles étaient sans fondement :

Jb 40,3-4 Et Job répondit à Yahvé : J'ai parlé à la légère: que te répliquerai-je? Je mettrai plutôt ma main sur ma bouche.

Job doit se rendre à l’évidence : ses modestes capacités ne font pas le poids face à la création ; il n’est pas à l’origine de l’ordre dans le monde, de plus, certaines forces dépassent largement sa petitesse. C’est le sens imagé des deux bêtes redoutables : Béhémoth et Léviathan qui ne sont autres que l’hippopotame et le crocodile :

Jb 40,15-16 Mais regarde donc Béhémoth, ma créature, tout comme toi! Il se nourrit d'herbe, comme le bœuf. Vois, sa force réside dans ses reins, sa vigueur dans les muscles de son ventre.
Jb 41,1 Et Léviathan, le pêches-tu à l'hameçon, avec une corde comprimes-tu sa langue?

L’évocation de ces deux monstres achève de convaincre Job que ses arguments ne sont pas recevables. Son jugement se réduit à une plaidoirie sur sa propre personne, sans se rendre compte que des forces naturelles lui échappent et qu’il ne connaît pas la grandeur de Dieu.

Limite du savoir

L’accumulation des verbes de connaissance dans les questions de Dieu témoigne de l’importance de ce thème (38,4-5). Job ne dispose pas de l’intelligence en tant qu’elle pénètre et discerne. Elle lui échappe en ce sens que la raison dernière des choses lui demeure cachée. Si Dieu inventorie les mystères de la création, c’est pour débouter toute prétention des hommes à une science exhaustive et unitaire du cosmos et des phénomènes. L’investigation de l’univers ouvrira toujours une page inexplorée. Dieu nous invite à l’humilité intellectuelle.

Révélation de la sagesse de Dieu

Dieu n’est pas à l’image de l’homme, il aime gratuitement. La justice de Dieu n’est pas sur le modèle de la justice humaine. La théologie de la rétribution est donc mise à défaut. En effet, vouloir un lien entre la perfection morale de l’homme et son bonheur, c’est concevoir Dieu comme un homme d’affaires qui traite avec ses clients selon la règle du donnant-donnant.

Dieu est libre et son amour est gratuit. Il n’et pas contraint par le schéma du donnant-donnant. Aucune œuvre humaine ne mérite la grâce, sinon ce ne serait plus la grâce. C’est toute la problématique de la libre providence que l’homme de son point de vue limité n’arrive pas à imaginer.

La conversion intérieure de Job (42,1-6)

La conversion de Job n’est pas d’ordre moral, puisqu’il est irréprochable sur ce plan, mais de l’ordre de la foi.

Jb 42,1-6 Alors Job répondit au Seigneur : Je sais bien que tout est possible pour toi et que, pour toi, aucun projet n’est irréalisable. Tu as dit : « Qui ose rendre mes projets obscurs en parlant sans rien y connaître ? » Oui, j'ai parlé de ce que je ne comprends pas, de ce qui me dépasse et que je neconnais pas. « Écoute, disais-tu, c'est à mon tour de parler ; je t'interrogerai et tu me répondras. » Je ne savais de toi que ce qu'on m'avait dit, mais maintenant, je t'ai vu de mes yeux ! C'est pourquoi je retire ce que j'ai dit, je suis consolé alors que je suis sur la poussière et sur la cendre.

Extérieurement rien n’a changé : Job n’a pas encore quitté son tas de cendre ; mais la parole de Dieu a converti son regard. Job se situe maintenant à sa vraie place dans l’univers et dans le projet de Dieu. Il reconnaît désormais ses limites.

Après l’orage de questions, Job a su entendre celles de Dieu. Son ultime réponse débouche sur le silence. Et ce silence est un acquiescement au mystère de Dieu. Job sait maintenant qu’il ne sait pas. Il reconnaît qu’on ne peut juger Dieu à partir des alternances du cœur de l’homme ou des impasses de son destin.

Il ne s’agit pas de se justifier devant Dieu, mais de s’ajuster à Dieu.

Job ne se repend pas des fautes commises avant son épreuve ; d’ailleurs Dieu ne l’a jamais accusé de quoi que ce soit pour cette période. Mais Job vient de prendre conscience d’une démesure étrange, d’un péché nouveau, péché plus radical que tous ceux qu’il eut pu commettre, puisqu’il consistait à prendre la place de Dieu comme norme du monde et de l’histoire.

Job s’est approché de l’arbre réservé en s’arrogeant le droit de contester la sagesse des réactions divines, en déclarant posséder un critère auquel les choix de Dieu devraient se soumettre. Cette prétention humaine à la connaissance totale, Dieu se devait de la repousser. Il la fait avec beaucoup d’humour.

En dévoilant à Job ses limites, Dieu cherche beaucoup moins à le condamner qu’à lui révéler ses propres richesses. Dans la majeure partie de ses discours, Yahvé semble oublier le drame de Job : il feuillette l’album de l’univers, soulignant à chaque page la présence au cœur des êtres de sa pensée créatrice. En réalité, il donne la parole à ses œuvres, pour qu’elles conduisent l’homme de leur mystère à son mystère.

Dieu juxtapose au tableau de sa providence cosmique la question de fond concernant sa justice envers Job :

Vas-tu me condamner pour que tu aies raison ?(40,8)

Et pour l’esprit humain, une distance reste à franchir entre l’affirmation de la providence et l’affirmation de la justice salvifique de Dieu. Il y a d’un coté l’ordre de l’univers et de l’autre le salut de Dieu. Le passage du premier au second ne peut s’opérer que dans la foi. Le silence final de Job témoigne de cette foi en la justice de Dieu. L’aveu de l’impuissance humaine face à la supériorité de Dieu était le dernier mot de l’homme, une sorte de constat d’échec. Et c’est dans le silence de Job que retentit la parole Dieu.

Conclusion

Une fois réaffirmées la liberté et la transcendance de Dieu, sa bonté peut être déployée et célébrée sans risque de récupération par ses amis. Exaucé par son désir de voir Dieu, alors même qu’il renonçait à tout, Job va recevoir par grâce même ce qu’il n’a pas demandé. L’histoire s’achève sans réponse rationnelle au « pourquoi » de la souffrance. Dieu agit en restaurant les biens de Job qui recouvre plus que sa fortune passée. Sa descendance est restituée : sept fils et trois filles. Cette forme de réponse montre d’une part, que l’homme ne saurait exiger une explication de Dieu et, d’autre part, que Dieu ne demeure pas insensible à la souffrance humaine. Sa réponse va bien au-delà de ce qui est demandé ; elle transcende le « pourquoi ». C’est la joie de la résurrection après la mort.

Job pourrait être interprété comme une relecture de la Genèse. Le monde est créé dans toute sa liberté donc dans cette possibilité de voir le mal surgir sans qu’une explication rationnelle ne puisse être donnée. La création est le théâtre de la vie et de la mort. Mais la création déborde largement l’égo, c’est-à-dire son propre champ de vision.

La création est toujours en devenir jusqu’à cette espérance d’une vie sans souffrance, ce que symbolise l’épilogue du livre de Job ; une sorte de promesse de bonheur éternel. Mais pour cela il faut passer par la mort.

Bibliographie : Jean LEVEQUE, Job, le livre et le message, Cahier évangile n° 53.