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Le repas

Manger ensemble, c’est plus que se nourrir, c’est créer des liens. Le mot convive signifie étymologiquement « vivre ensemble » ; le mot latin convivium désignait d’ailleurs le « repas ». Dans la mesure où il n’est pas accompli individuellement, l’acte alimentaire est spontanément et fortement socialisant. Sur le plan anthropologique, l’eucharistie est un rite sacrificiel de communion et d'action de grâce. Il est aussi le repas par excellence pour le chrétien. Ce rite est un temps de vivre ensemble. Il agrège les membres d’une communauté dans une même foi, dans le partage de la parole et du pain.

Du besoin au plaisir

L’homme doit manger pour reconstituer l’énergie que son corps a dépensée. Se nourrir lui est vital.

Nb 21,5. Il parla contre Dieu et contre Moïse : « Pourquoi nous avez-vous fait monter d’Égypte pour mourir en ce désert ? Car il n’y a ni pain ni eau ; nous sommes excédés de cette nourriture de famine. »

Cependant si l’homme comme tout être vivant ont en commun la nécessité de s’alimenter pour survivre ; il n’y a pas égalité entre l’homme et l’animal ni même entre les hommes. Le premier objectif est de satisfaire le besoin. L’animal reste à ce stade poussé par son instinct de survie. Pour l’homme, se nourrir n’est plus uniquement instinctif, cela devient un acte culturel où les préférences de l’individu et le plaisir entrent en compte dans le choix contrairement aux autres êtres vivants.

Manger ce n’est pas simplement rassasier un besoin en attendant l’activité mécanique de la digestion. Manger c’est un plaisir et un loisir, un moment de gaieté, dans la lourdeur des jours. Il y a un rituel : l’heure du repas, l’entrée, le plat central, le dessert, la table, les couverts, la boisson. La mise en scène et le spectacle sont essentiels. On ne mange pas n’importe comment. La cuisine devient l’art culinaire. Et cette activité esthétique aurait le privilège de faire jouer nos cinq sens. Le décor est important. L’ambiance ou le silence sont essentiels dans un restaurant. Mais ce n’est pas simplement un art de l’ouïe comme la musique, ou de la vue comme la peinture. Le toucher des couverts, l’odeur des plats et le goût des aliments achèvent de mettre tout notre corps sensible en action (B. Souchard, De la nourriture terrestre à la nourriture céleste, Terre et foi n° 42, 2003).

La manducation est inséparable des 5 sens plus particulièrement de l’odorat et du goût. Savons-nous encore nous « arrêter » sur un aliment pour apprécier toute sa saveur ? Le bon vin des noces se Cana se déguste et ne s’avale pas goulûment.

Le repas, lieu de partage

L’homme a inventé le repas, ce moment de convivialité à l’occasion de la prise de nourriture qui est l’objet d’un partage. Les convives assis autour de la table partagent tout à la fois la nourriture tirée d’un même plat et la parole qui circule d’une personne à l’autre. Manger ensemble, c’est laisser de côté ses activités, se consacrer à un temps communautaire durant lequel chacun communique aux autres ses idées, ses joies, ses soucis. Le repas est un lieu et un temps de communion.

Le repas est aussi le temps d’annoncer aux autres des nouvelles, de la plus simple aux plus solennelles.

Lieu du repas, la table est aussi celui de toutes les négociations. C’est là que le maître de maison peut tout à la fois séduire en flattant le goût et cacher son jeu en alternant propos sérieux et conversation. Le repas, la table et leurs organisations spatiales et gustatives sont donc un objet à la fois communicationnel, anthropologique et sémiotique. Elle est mise en scène d’un pouvoir et présentation des statuts et rôles de ceux qui y siègent et est donc naturellement associée à la négociation (Olivier Arifon et Philippe Ricaud, Regard anthropologique sur les cultures de la table, Comunication, N° 25/1, 2006, pp. 161-169).

Chez les prophètes, l’annonce d’un temps de paix et de joie après des temps d’épreuve, prend bien souvent des images de banquet : par exemple, chez Joël :

Jl 2,26 Vous mangerez à satiété, vous louerez le nom du Seigneur votre Dieu, qui a agi merveilleusement pour vous.

Jl 4,18 Ce jour-là, les montagnes dégoulineront de vin nouveau, les collines ruisselleront de lait, dans tous les ruisseaux de Juda les eaux couleront.

C’est à l’occasion de repas que Jésus apporte certains de ses enseignements. Jésus participe à de multiples repas : aux noces de Cana (Jn 2,1-11), dans la famille de Marthe et Marie (Lc 10,38-42), avec des publicains, avec des pécheurs, avec ses disciples, avec les disciples d’Emmaüs. Beaucoup de moments décisifs se jouent autour d’un repas. La cène est bien sûr le repas le plus important de Jésus durant lequel Jésus institue l’eucharistie.

Notons aussi que le récit de la multiplication des pains et du gigantesque repas qui en découle est le texte le plus fréquent des quatre Évangiles, puisqu’on en trouve pas moins de six narrations : 2 chez Matthieu, 2 chez Marc,1 chez Luc et 1 chez Jean.

Sur un plan religieux, le repas est un lieu privilégié d’expression du sacré. Le bénédicité nous le rappelle au début des repas familiaux. Lors des repas sacrificiels, l’homme rencontre Dieu selon un rituel. La nourriture est tout à la fois fruit de la terre et du travail des hommes et un don de Dieu. L’homme se doit d’offrir une nourriture sous la forme d’offrandes : prémices, pain, vin, bétail… Cette nourriture devient don de Dieu à travers l’acte du sacrifice. Le repas devient alors un temps de communion avec la divinité.

Le sacrifice rituel est ainsi constitué d’un échange symbolique : ce que l’homme offre est le don en retour de ce qu’il reconnaît avoir reçu de dieu ou des dieux. Il prend ainsi la valeur d’un repas avec les dieux. Il a pour but la réconciliation et la communion avec ceux-ci (B. SESBOÜĖ, Invitation à croire, Des sacrements crédibles et désirables, Cerf, 2009, p. 117).

Voir l'étude sur le sacrifice Bertrand Pinçon - Les repas de fête dans la Bible