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Le rite

Une opération programmée

Une répétition

Dans la vie quotidienne, de multiples gestes se répètent tous les jours de la même façon. Notre journée commence et se termine selon le même rituel tout au long de l’année. Il faut un événement singulier, une sortie, des vacances, pour briser cette routine quotidienne. Chaque jour se vit selon un rituel qui s’est forgé au feu de la vie. À une échelle plus vaste, les fêtes, les manifestations culturelles, les commémorations religieuses ou laïques, les pratiques cultuelles reviennent à un rythme régulier et se revivent selon les mêmes modalités.

Cette répétition à une fréquence plus ou moins élevée est une des caractéristiques les plus visibles du rite. Un geste ou un événement ne prend la valeur d’un rite que lorsqu’il s’inscrit dans la durée, c’est-à-dire lorsqu’il se répète dans le temps selon les mêmes règles.

La prise de la Bastille en 1789 aurait pu rester un événement historique sans pour autant donner lieu à une commémoration annuelle. C’est devenu un rite parce que tous les ans la cérémonie du 14 juillet manifeste l’unité nationale selon une structure quasi identique. Des éléments de forme peuvent certes varier, mais sans pour autant toucher le schéma de cette journée : défilé, feu d’artifice, bal populaire. L’objectif visé étant toujours le même, il faut répéter le même rituel.

Il en est de même pour le dernier repas de Jésus. Jésus a inventé les paroles et les gestes de la cène et nous a invités à les reproduire. Depuis sa résurrection l’Église répète le même événement aux quatre coins du monde.

Certains rites ne se vivent qu’une seule fois dans l’existence personnelle. C’est tout particulièrement vrai pour les funérailles. Une personne ne meurt qu’une seule fois, mais la société n’invente pas un rite funéraire pour chaque défunt. C’est le même rite qui se répète lors de chaque sépulture. Il en est de même pour les sacrements du baptême et de la confirmation et dans une moindre mesure pour le mariage et l’ordre. C’est toujours le même rituel qui se répète dans l’espace et dans le temps.

Cette répétition est aussi un point de repère qui offre une sécurité. Inutile de se demander comment se déroule le sacrement de réconciliation lors d’un pèlerinage à Lourdes ou même dans un pays étranger. Participer à un mariage à l’autre bout de son pays, c’est être assuré d’entendre un échange des consentements et de voir un échange des alliances.

Enfin la répétition est l’art de la pédagogie. Un sacrement de par le mystère qu’il évoque ne se comprend jamais de manière définitive. Chaque participation nous fait découvrir de nouveaux aspects. Paul De Clerck, invoque cet argument :

On aimerait souligner ici que la répétition rituelle offre aussi une chance, car elle fait en sorte que l’action liturgique ne doit pas être comprise en tous ses aspects lors de chacune de ses réalisations. Il n’est pas indispensable de tout comprendre à la première audition, puisque j’aurai encore souvent l’occasion de participer à la même action. P. De Clerck, L’intelligence de la liturgie, Cerf, Paris, 1995, p. 46.

Un ordonnancement

Prolongeons cette idée de répétition à travers celle d’ordonnancement. Le lever et le coucher se déroulent invariablement sur le même mode et il faut un événement extérieur suffisamment significatif pour briser l’ordonnancement bien établi. À une échelle temporelle plus vaste, certaines fêtes reviennent à un rythme régulier et ordonnancent l’année. Les anniversaires, les jours fériés laïcs ou religieux sont des temps qui organisent et agencent notre existence.

Le mot « rite » nous vient d’une racine indo-européenne r’tam qui signifie « ordre », et même plus précisément « la mise en ordre ». On retrouve cette racine dans les mots « rythme (la périodicité et l’ordre des durées), « art » (agencement harmonieux des formes, des couleurs et des sons), « arithmétique » (calcul et ordonnancement des nombres).

Le rite met de l’ordre dans notre existence. Le premier rituel dans la bible est celui la création où Dieu met chaque chose à sa place selon un ordre bien établi avec au sommet l’avènement de l’homme et de la femme. Ce n’est qu’à cette condition que la vie peut jaillir et s’organiser. Au sein de chaque rite en particulier, le rituel se définit comme un ensemble d’actes et de paroles qui s’ordonnancent toujours selon le même ordre. Ainsi, les cérémonies sacramentelles se déroulent selon un rituel préétabli par l’Église. Le rituel est le plan du rite sacramentel. À ce titre il est le garant du bon déroulement du sacrement. Il est difficile d’imaginer le sens d’une messe si celle-ci commençait par la communion et se terminait par le kyrie. Le peuple de Dieu y perdrait ce qui lui reste de latin (ou de grec). « C’est toujours la même chose » disent à juste titre les enfants qui ne veulent pas aller à la messe. Effectivement les messes se suivent et se ressemblent. Le rituel assure ainsi une continuité dans le temps et une unité dans l’espace. Bien sûr le rituel n’est pas figé ; il se laisse façonner au gré des cultures et des évolutions sociales.

La Constitution sur La Sainte Liturgie de Vatican II précise : 22. Le gouvernement de la liturgie dépend uniquement de l’autorité de l’Eglise : il appartient au Siège apostolique et, dans les règles du droit, à l’évêque. En vertu du pouvoir donné par le droit, le gouvernement en matière liturgique, appartient aussi, dans les limites fixées, aux diverses assemblées d’évêques légitimement constituées, compétentes sur un territoire donné. C’est pourquoi absolument personne d’autre, même prêtre, ne peut, de son propre chef, ajouter, enlever ou changer quoi que ce soit dans la liturgie. La rigueur de ce propos n’a qu’une explication. Si la liturgie signifie et réalise l’unité de l’Eglise, son gouvernement, sa régulation ne peut dépendre que de ceux qui, dans l’Eglise, ont le ministère de l’unité : le Siège apostolique et les évêques. 37. L’Église, dans les domaines qui ne touchent pas la foi ou le bien de toute la communauté, ne désire pas, même dans la liturgie, imposer la forme rigide d’un libellé unique : bien au contraire, elle cultive les qualités et les dons des divers peuples et elle les développe ; tout ce qui, dans les mœurs, n’est pas indissolublement lié à des superstitions et à des erreurs, elle l’apprécie avec bienveillance et, si elle peut, elle en assure la parfaite conservation ; qui plus est, elle l’admet parfois dans la liturgie elle-même, pourvu que cela s’harmonise avec les principes d’un véritable et authentique esprit liturgique.

Des gestes, des paroles et des symboles codifiés

Les codes sont des ensembles de signes dont la signification est partagée par un groupe (ex. : la poignée de main pour un rituel de salutation). Les individus qui partagent les mêmes codes se sentent proches et solidaires. Les codes sont différents d’une époque à une autre, d’un pays à un autre, d’un milieu social à un autre.

« Bonjour Monsieur, soyez le bienvenu » est une phrase qui correspond au respect d’un rite d’accueil, d’entrée en matière dans la relation. « Se serrer la main ou se pencher en avant » répond à deux codes culturels différents pour saluer une personne que l’on accueille, selon que l’on est en Europe ou au Japon, par exemple (https://crcom.ac-versailles.fr/spip.php?article229).

Le rite est une suite d’événements ordonnés ayant un objectif déterminé. Il comporte un séquencement de gestes, de paroles et de symboles codifiés, c’est-à-dire porteurs d’un sens précis reconnu par les participants. À travers son code il est programmé pour atteindre un objectif. Ce code est un langage rituel qui n’est pas celui de tous les jours. On ne salue pas une personne dans la rue en lui disant « le Seigneur soit avec vous ». Même une déclaration d’amour ne se fait pas sur un banc public sous la forme prévue dans le rituel du mariage.

Le langage sacramentel est codifié afin de répondre à l’objectif visé. Il est en rupture avec le langage ordinaire. À la sortie d’un mariage, les participants reconnaissent que l’homme et la femme ayant échangé leur consentement en Église sont mariés. De même à la sortie du baptême, les parents, parrains et marraines voient désormais un baptisé dans la personne concernée. Il existe un consensus autour de la signification des différents actes du rite.

L’efficacité reconnue à ces actes autorisés ne dépend évidemment pas de quelques pouvoirs secrets des mots eux-mêmes, mais du consensus social dont ils sont le symbole codé.

Le rite est codifié et répond par là à un principe de vie communautaire, à savoir que la vie sociale n’est possible que dans l’acceptation d’une norme qui dépasse l’individu. Tous les codes vont dans le sens d’une humanisation au sein d’un groupe. Le code civil et le code de la route définissent les comportements pour que chacun puisse vivre avec les autres. Les rites sacramentels nous renseignent sur la vie en Église. Celle-ci a son propre code. Il faut par exemple être baptisé pour accéder aux autres sacrements. Et le baptême lui-même se déroule selon un rituel codifié et reconnu par tous les membres de l’Église.

Le rite n’est donc pas un lieu d’improvisation sauf pour y apporter des touches personnelles ou l’adapter à des circonstances particulières. Ses évolutions traduisent une nécessaire adaptation aux mentalités et à la culture. Elles font l’objet d’un consensus du corps social et religieux et donnent lieu à l’élaboration d’un nouveau code . Mais toucher à un rite solidement ancré dans la culture, c’est jouer avec le feu ; c’est prendre le risque d’une désorientation et d’un rejet. Vatican 2 a provoqué un schisme avec Mgr Lefebvre.

Le geste liturgique n’est jamais d’ordre décoratif ; il n’est jamais isolé et trouve son sens dans une séquence rituelle dont le but est bien de créer les dispositions ou le cheminement intérieur nécessaire à la structuration et au développement de la vie spirituelle. Le rite liturgique n’est jamais un « en soi » (et le comprendre ainsi le stérilise à coup sûr). Les éléments qui en font partie sont du même ordre. Les considérer comme un simple décor pour la prière chrétienne, c’est prendre le risque de vider la liturgie et particulièrement les sacrements, de ce qui fait leur substance même, donc de les rendre inopérants et inutiles. Donc quand je touche à un des éléments d’une séquence rituelle, à quoi je touche ? Est-ce que mon geste va me faire faire le chemin spirituel qui, de dimanche en dimanche, va me construire en corps du Christ ? C’est la question à se poser qui permet de trouver les bonnes solutions (Serge KERRIEN, Les gestes dans la liturgie, Conférence, Session Sainte-Odile, mai 2012).

La reconnaissance et l’acceptation d’un code rituel ne s’improvisent pas et ne se décrètent pas. Elles relèvent de la culture religieuse que la catéchèse enseigne et que l’Église fait vivre à travers les rites.