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Le rite

Introduction

Les sacrements se définissent sur un plan anthropologique comme des rites. Cette définition très synthétique nous amène à nous interroger sur la signification du mot "rite" en cinq points.

Si ce mot ne fait pas partie de notre langage quotidien, nous l’utilisons parfois pour qualifier des événements qui se répètent dans notre existence sous la forme : "c’est devenu un rituel" ; un peu comme si notre existence était désormais programmée. Nous verrons effectivement que le rite est une opération programmée.

Les rites, nous le sentons bien dans les grandes fêtes, les funérailles ou les mariages sont des événements qui transforment la vie. Bien plus qu’un discours il s’agit d’un agir qui nous saisit et nous travaille tout en façonnant le monde qui nous entoure. Le rite est une opération symbolique.

Les rites ont également pour fonction de favoriser l’intégration au sein d’une communauté en permettant à chaque personne de s’identifier au sein de celle-ci. Ils agrègent l’ensemble du corps social. Le rite est en ce sens une opération sociale.

Nous verrons aussi que les rites sont un chemin, un itinéraire sacré. Ils nous ouvrent sur une transcendance en donnant du sens à l’existence.

Enfin, nous aborderons la question du rite en tant que lieu de transmission.

Une opération programmée

Une répétition

Dans la vie quotidienne, de multiples gestes se répètent tous les jours de la même façon. Notre journée commence et se termine selon le même rituel tout au long de l’année. Il faut un événement singulier, une sortie, des vacances, pour briser cette routine quotidienne. Chaque jour se vit selon un rituel qui s’est forgé au feu de la vie. À une échelle plus vaste, les fêtes, les manifestations culturelles, les commémorations religieuses ou laïques, les pratiques cultuelles reviennent à un rythme régulier et se revivent selon les mêmes modalités.

Cette répétition à une fréquence plus ou moins élevée est une des caractéristiques les plus visibles du rite. Un geste ou un événement ne prend la valeur d’un rite que lorsqu’il s’inscrit dans la durée, c’est-à-dire lorsqu’il se répète dans le temps selon les mêmes règles.

La prise de la Bastille en 1789 aurait pu rester un événement historique sans pour autant donner lieu à une commémoration annuelle. C’est devenu un rite parce que tous les ans la cérémonie du 14 juillet manifeste l’unité nationale selon une structure quasi identique. Des éléments de forme peuvent certes varier, mais sans pour autant toucher le schéma de cette journée : défilé, feu d’artifice, bal populaire. L’objectif visé étant toujours le même, il faut répéter le même rituel.

Il en est de même pour le dernier repas de Jésus. Jésus a inventé les paroles et les gestes de la cène et nous a invités à les reproduire. Depuis sa résurrection l’Église répète le même événement aux quatre coins du monde.

Certains rites ne se vivent qu’une seule fois dans l’existence personnelle. C’est tout particulièrement vrai pour les funérailles. Une personne ne meurt qu’une seule fois, mais la société n’invente pas un rite funéraire pour chaque défunt. C’est le même rite qui se répète lors de chaque sépulture. Il en est de même pour les sacrements du baptême et de la confirmation et dans une moindre mesure pour le mariage et l’ordre. C’est toujours le même rituel qui se répète dans l’espace et dans le temps.

Cette répétition est aussi un point de repère qui offre une sécurité. Inutile de se demander comment se déroule le sacrement de réconciliation lors d’un pèlerinage à Lourdes ou même dans un pays étranger. Participer à un mariage à l’autre bout de son pays, c’est être assuré d’entendre un échange des consentements et de voir un échange des alliances.

Enfin la répétition est l’art de la pédagogie. Un sacrement de par le mystère qu’il évoque ne se comprend jamais de manière définitive. Chaque participation nous fait découvrir de nouveaux aspects. Paul De Clerck, invoque cet argument :

On aimerait souligner ici que la répétition rituelle offre aussi une chance, car elle fait en sorte que l’action liturgique ne doit pas être comprise en tous ses aspects lors de chacune de ses réalisations. Il n’est pas indispensable de tout comprendre à la première audition, puisque j’aurai encore souvent l’occasion de participer à la même action. P. De Clerck, L’intelligence de la liturgie, Cerf, Paris, 1995, p. 46.

Un ordonnancement

Prolongeons cette idée de répétition à travers celle d’ordonnancement. Le lever et le coucher se déroulent invariablement sur le même mode et il faut un événement extérieur suffisamment significatif pour briser l’ordonnancement bien établi. À une échelle temporelle plus vaste, certaines fêtes reviennent à un rythme régulier et ordonnancent l’année. Les anniversaires, les jours fériés laïcs ou religieux sont des temps qui organisent et agencent notre existence.

Le mot « rite » nous vient d’une racine indo-européenne r’tam qui signifie « ordre », et même plus précisément « la mise en ordre ». On retrouve cette racine dans les mots « rythme (la périodicité et l’ordre des durées), « art » (agencement harmonieux des formes, des couleurs et des sons), « arithmétique » (calcul et ordonnancement des nombres).

Le rite met de l’ordre dans notre existence. Le premier rituel dans la bible est celui la création où Dieu met chaque chose à sa place selon un ordre bien établi avec au sommet l’avènement de l’homme et de la femme. Ce n’est qu’à cette condition que la vie peut jaillir et s’organiser. Au sein de chaque rite en particulier, le rituel se définit comme un ensemble d’actes et de paroles qui s’ordonnancent toujours selon le même ordre. Ainsi, les cérémonies sacramentelles se déroulent selon un rituel préétabli par l’Église. Le rituel est le plan du rite sacramentel. À ce titre il est le garant du bon déroulement du sacrement. Il est difficile d’imaginer le sens d’une messe si celle-ci commençait par la communion et se terminait par le kyrie. Le peuple de Dieu y perdrait ce qui lui reste de latin (ou de grec). « C’est toujours la même chose » disent à juste titre les enfants qui ne veulent pas aller à la messe. Effectivement les messes se suivent et se ressemblent. Le rituel assure ainsi une continuité dans le temps et une unité dans l’espace. Bien sûr le rituel n’est pas figé ; il se laisse façonner au gré des cultures et des évolutions sociales.

La Constitution sur La Sainte Liturgie de Vatican II précise : 22. Le gouvernement de la liturgie dépend uniquement de l’autorité de l’Eglise : il appartient au Siège apostolique et, dans les règles du droit, à l’évêque. En vertu du pouvoir donné par le droit, le gouvernement en matière liturgique, appartient aussi, dans les limites fixées, aux diverses assemblées d’évêques légitimement constituées, compétentes sur un territoire donné. C’est pourquoi absolument personne d’autre, même prêtre, ne peut, de son propre chef, ajouter, enlever ou changer quoi que ce soit dans la liturgie. La rigueur de ce propos n’a qu’une explication. Si la liturgie signifie et réalise l’unité de l’Eglise, son gouvernement, sa régulation ne peut dépendre que de ceux qui, dans l’Eglise, ont le ministère de l’unité : le Siège apostolique et les évêques. 37. L’Église, dans les domaines qui ne touchent pas la foi ou le bien de toute la communauté, ne désire pas, même dans la liturgie, imposer la forme rigide d’un libellé unique : bien au contraire, elle cultive les qualités et les dons des divers peuples et elle les développe ; tout ce qui, dans les mœurs, n’est pas indissolublement lié à des superstitions et à des erreurs, elle l’apprécie avec bienveillance et, si elle peut, elle en assure la parfaite conservation ; qui plus est, elle l’admet parfois dans la liturgie elle-même, pourvu que cela s’harmonise avec les principes d’un véritable et authentique esprit liturgique.

Un mémorial

Le rite fait mémoire d’un événement primordial et fondateur. Le rite nous permet notamment de revivre un événement passé sous des modalités présentes. En tant que mémorial il est une actualisation, c’est-à-dire un vécu au présent d’une origine plus ou moins lointaine. Dans la Pâque juive comme dans la Pâques chrétienne, nous avons cette même invitation à faire mémoire de l’événement fondateur (Ex 12,14 ; Lc 22,19).

Des gestes, des paroles et des symboles codifiés

Le rite est une suite d’événements ordonnés ayant un objectif déterminé. Il comporte un séquensement de gestes, de paroles et de symboles codifiés, c’est-à-dire porteurs d’un sens précis reconnu par les participants. À travers son code il est programmé pour atteindre un objectif. Ce code est un langage rituel qui n’est pas celui de tous les jours. On ne salue pas une personne dans la rue en lui disant "le Seigneur soit avec vous". Le rite est codifié et répond par là à un principe de vie communautaire, à savoir que la vie sociale n’est possible que dans l’acceptation d’une norme qui dépasse l’individu. Tous les codes vont dans le sens d’une humanisation au sein d’un groupe. Le rite n’est donc pas un lieu d’improvisation sauf pour y apporter des touches personnelles ou l’adapter à des circonstances particulières.

Une opération symbolique

Une liturgie

Le rite est fondamentalement de l’ordre du faire et relève en cela de la liturgie au sens étymologique du terme. Il accomplit quelque chose. Il transforme et fait devenir. Comme le souligne Louis-Marie Chauvet, "à la différence des discours scientifiques qui relèvent de la "-logie" (biologie, sociologie, musicologie, théologie…), la "liturgie" relève comme l’indique son nom, de l’"urgie", terme qui vient du grec "ergon", désignant précisément par opposition à "logos", l’"action" ou l’"œuvre". En français d’ailleurs, nos termes de "sidérurgie", de "métallurgie", de "chirurgie", renvoient bien à un agir".

Un agir symbolique

Agir, c’est transformer le monde ; c’est construire une œuvre aussi modeste soit-elle. Mais le rite est un agir différent de celui de la technique qui cherche avant tout à transformer matériellement notre environnement ; il ne construit ni maisons, ni routes, ni écoles ; il ne retourne pas la terre et ne sème pas pour récolter la nourriture pourtant si essentiel à nos existences. Le rite agit sur nous et sur nos relations au monde, aux autres et à Dieu. Il nous structure et nous façonne en nous travaillant de l’intérieur.

Un ministre, un lieu, des éléments matériels

Une personne est habilitée et reconnue pour présider le rite. Par ailleurs, le rite se déroule en un lieu précis, prévu à l’avance et qui nécessite une préparation matérielle. Soulignons enfin que le rite utilise presque toujours des éléments matériels et sensibles : l’eau, le feu, le pain, le vin, l’huile, l’encens et des vêtements particuliers.

Un lieu de gratuité

Le rite est éminemment gratuit ; il ne relève pas d’une logique de rendement économique ou de l’utilitaire. D’une manière générale, le rite exige le consentement à une perte, qu’il s’agisse du temps de préparation et de participation ou encore des frais occasionnés. Le rite est un lieu de gratuité ou l’utilitaire s’efface devant l’humain. L’homme en ressort grandit. C’est un temps pour soi et pour les autres. C’est un lieu de rencontre et de communion où le groupe se soude au-delà de tout calcul.

Une opération sociale

Initiation

L’initiation désigne selon le Larousse "l’action de révéler ou de recevoir la connaissance de certaines pratiques" ainsi que "la cérémonie qui fait accéder un individu à un nouveau groupe d'appartenance". Cette définition montre qu’il y a un savoir intelligible à acquérir et un rite d’intégration. L’initiation est un parcours qui suppose une préparation afin de recevoir en pleine connaissance de cause la signification du nouveau statut au terme de ce parcours. L’initiation chrétienne est néanmoins plus qu’un temps catéchuménal qui se déroule du baptême à la confirmation en passant par l’eucharistie. Cette initiation souligne l’unité des trois sacrements. Autrefois réunis dans une même cérémonie, ces sacrements sont aujourd’hui dissociés dans le temps. L’initiation vient rappeler que la personne ne devient pleinement chrétienne qu’à la réception de ces trois sacrements.

Identification et intégration

Une des fonctions du rite est de traduire une identification et d’assurer une intégration. Se marier, c’est d’une part être l’époux(se) d’un partenaire et, d’autre part, quitter une famille pour en fonder une autre. Se faire baptiser, c’est entrer dans la famille des chrétiens. Le rite permet ainsi à chacun de se situer par rapport aux autres, de s’intégrer dans une famille, un groupe, une communauté et ainsi de développer le sentiment d’appartenance avec d’ailleurs le risque d’exclure ceux qui n’appartiennent pas au groupe. Le baptême est en ce sens le sacrement de l’identité chrétienne. C’est par le geste de l’eau accompagné de la formule baptismale que le néophyte devient chrétien et entre dans l’Eglise des baptisés. Cette identification et cette intégration s’achèvent à l’issue des sacrements de la confirmation et de l’eucharistie, c’est-à-dire au terme de l’initiation chrétienne.

Agrégation

Le rite remplit une fonction fédératrice. Il est à la fois un facteur d’intégration et de cohésion sociales. Il rassemble les membres d’une même famille, d’une même communauté, d’une nation. Il remplit une fonction d’agrégation. L’Église elle-même se rassemble au nom du Christ tout particulièrement lors des rites sacramentels. L’eucharistie plus que tout autre sacrement rassemble les membres de l’Église dans une même foi. Pour reprendre les formules traditionnelles, les sacrements font l’Église et l’Église fait les sacrements. La participation a un rite sacramentel permet d’exprimer une double fidélité : à Dieu dont le rite affirme pleinement la puissance fondatrice et à la communauté qui fait vivre le rite.

Un passage qui donne du sens

Le rite se prépare sur de multiples plans : matériel, intellectuel, psychologique, social, religieux avec plus ou moins de profondeur selon le rite concerné. La fonction de passage se retrouve dans de nombreux rites qui assurent la transition d’un état à un autre. Les raisons sont d’ordre psychologique et sociologique. Ces rites ont pour but de maîtriser symboliquement le passage vers un nouveau statut et donc de nouvelles responsabilités avec des droits et des obligations. Ils instaurent un temps et un espace de coupure destinés à souligner la différence entre l’état antérieur et l’état postérieur. Les rites aident à abandonner le passé et à passer de l’autre coté de la berge sans pour autant offrir de garantie comptable sur l’avenir. La célébration rituelle débouche sur un nouvel horizon. Comme le dit saint Augustin « Deviens ce que tu reçois » ; si nous recevons la parole et le pain de Jésus ressuscité, c’est à notre tour devenir des acteurs de paix et de partage dans le monde, des signes du ressuscité.

Un itinéraire religieux

Une mise à part des moments essentiels de l’existence

Les différents rites qui accompagnent les moments significatifs de l’existence donnent à ceux-ci une valeur de consécration, c’est-à-dire de mise à part. Le rite fait qu’un jour ne ressemble pas aux autres. Ainsi le jour du mariage est un jour unique dans l’histoire d’un couple. Le baptême, la confirmation et le sacerdoce sont eux aussi uniques dans la vie d’un chrétien. La messe dominicale joue aussi ce rôle de mise à part d’un jour dans la fuite du temps. Elle fait que ce jour ne ressemble pas aux autres jours.

Une ouverture sur le sacré

À travers le sacré qu’il véhicule, le rite ouvre à une transcendance et arrache l’homme de sa quotidienne matérialité. Le rite autorise une relation au sacré tout en maintenant une distance entre le sacré et le profane. Il est un moment ou l’humain et le divin entrent en communion. Mais cette relation ne peut s’établir qu’en respectant un code particulier, c’est-à-dire un rituel.

Un lieu d’expression de l’irrationnel

Les rites sont des lieux où l’humain exprime des choses inadmissibles et incompréhensibles en d’autres circonstances. Manger le corps du Christ et boire son sang sont des actent qui défient la raison. Pour le vivre avec la foi et la raison, il faut un temps, un espace et un rite qui lui soient consacrés sinon il perd son humanité et sa divinité. Ce qui se déroule dans le monde ou dans son propre corps, l'homme cherche à le maîtriser, à l'apprivoiser, à lui donner du sens. Il peut s'y prendre de deux manières : soit techniquement (physique, mécanique, médecine…), soit rituellement (initiation, magie, religion…). La technique ne répond pas aux questions fondamentales de l’existence. Beaucoup de couples se demandent : "Pourquoi elle (lui), pourquoi moi ?". Le rituel du mariage permet de vivre cette question et de lui donner du sens à défaut d’une réponse rationnelle et définitive. Le rite permet d’entrer symboliquement dans ces réalités qui nous dépassent. Il nous permet de domestiquer l’émotion, la crainte et le mystère qui entourent les grands tournants cosmiques et personnels.

Le rite, un lieu de transmission

Pas de vie sans changement

Il n’y a pas d’Église qui perdure à travers le temps sans transmission de ses fondements. Les rites participent pour l’essentiel à cette transmission. Mais il n’y a pas davantage d’Église qui dure sans la capacité à se modifier elle-même pour s’adapter à tout ce qui change autour d’elle.

La transmission des traditions

Une des fonctions d'un rite est d’inscrire les personnes dans une tradition. Le mot "tradition" vient du latin "tradere" qui signifie transmettre. Ainsi la tradition joue, au niveau collectif, le rôle que joue la mémoire au niveau individuel. Elle assure une continuité, elle assure une certaine façon d'habiter le monde, elle fonde une identité collective. Que serait une société sans tradition? Une société sans mémoire et sans identité propre.

Passer le témoin

Transmettre, c’est aussi passer le témoin en nous dépossédant de quelque chose qui ne nous appartient pas. Nous avons le sentiment de perdre quelque chose, sans être sûrs de gagner au change.

Faut-il tout transmettre ?

La tradition c'est ce qui se fait parce que ça s'est toujours fait. Son prestige nous fait apparaître comme allant de soi, "naturel". Est-ce parce que ça se fait qu'il faut continuer à le faire ? Autrement dit, l'ancienneté d'une pratique sociale est-elle un gage de sa légitimité ? Soulignons avec le pape François :

J’imagine un choix missionnaire capable de transformer toute chose, afin que les habitudes, les styles, les horaires, le langage et toute structure ecclésiale devienne un canal adéquat pour l’évangélisation du monde actuel, plus que pour l’auto-préservation (27). Il faut abandonner le confortable critère pastoral du “on a toujours fait ainsi”. J’invite chacun à être audacieux et créatif dans ce devoir de repenser les objectifs, les structures, le style et les méthodes évangélisatrices de leurs propres communautés (33).

Sortons, sortons pour offrir à tous la vie de Jésus-Christ. Je préfère une Église accidentée, blessée et sale pour être sortie par les chemins, plutôt qu’une Église malade de la fermeture et du confort de s’accrocher à ses propres sécurités (49).

Rappelons-nous que l’expression de la vérité peut avoir des formes multiples, et la rénovation des formes d’expression devient nécessaire pour transmettre à l’homme d’aujourd’hui le message évangélique dans son sens immuable.(41) L’Évangile nous invite toujours à courir le risque de la rencontre avec le visage de l’autre, avec sa présence physique qui interpelle, avec sa souffrance et ses demandes, avec sa joie contagieuse dans un constant corps à corps (88).

(La joie de l’évangile, 2013, n° 27, 33, 41, 49, 88).

Amaury Dewavrin, économe du diocèse de Lyon, journal La Croix du 17/04/2019 :

L’Église doit se re-fonder pour être vivante plutôt que mourante, joyeuse plutôt que triste, ouverte plutôt que repliée, porteuse d’espérance et non de crainte. Elle faillirait à fuir cette re-fondation. Il faut partir de la force du message évangélique, à ajuster au monde d’aujourd’hui, si différent de celui de Jean XXIII et de Vatican II.

Retenons les principes posés par François sur la réforme de l’Église (Evangelii gaudium n. 30) : « un processus résolu de discernement, de purification et de réforme. » est à engager !

Place des femmes, conseils et ministères des laïcs, fraternité et joie dans la vie des communautés : il nous faut trouver ces chemins de manière résolue. Une gouvernance nouvelle, sage et cohérente avec l’Évangile doit être entièrement repensée et mise en œuvre progressivement.

L'émotion

Un extrait d'un entretien avec Arnaud Join-Lambert paru dans le journal La Croix (en ligne) :

On a pourtant l’impression que les rites catholiques ne parlent plus chez nos contemporains.

A.J-L : C’est le constat que font prêtres et évêques. Ils sont conscients du fait que l’Église possède un trésor rituel, très riche de sens, mais les gens ne s’en saisissent pas. En effet, lorsque l’on n’a pas les codes, on passe à côté du langage symbolique. Or, du fait de la crise de la transmission, ce langage n’est plus maîtrisé par la majorité.

L’autre raison de ce manque de sens aux yeux de très nombreuses personnes, c’est que la liturgie latine a toujours été très sobre vis-à-vis de l’émotion. On n’y vibre pas beaucoup et la fraternité ne s’y expérimente pas facilement. Comme le disait le père Romano Guardini, il existe en Occident une « pudeur de la liturgie » qui considère que l’on n’est pas obligé de se livrer ou de s’épancher. Or, la culture actuelle est au contraire fortement marquée par l’émotion. Dès lors, il ne s’agit pas de jouer avec les émotions mais d’intégrer la partie affective et émotionnelle des personnes pour redonner du goût à nos liturgies.

Comment prendre en compte ce besoin d’émotion tout en gardant le sens de la liturgie catholique ?

A.J-L : C’est la réflexion que je vais proposer aux évêques à Lourdes. On peut établir un certain nombre de critères de discernement pour que les rites liturgiques touchent les participants, sans tomber dans des excès du trop ou du trop peu. Ainsi, la liturgie ne doit pas être centrée sur le « je » mais bien sur le « nous », car une assemblée n’est pas une somme d’individualités, mais un corps. Il faut aussi que la liturgie soit incarnée dans le concret - Guardini parlait du "parfum de la terre" - et qu’elle conserve une dimension ecclésiale. Il faut garder à l’esprit que l’émotion peut être positive, car elle fait partie de notre être. Aucune expérience de foi ne se fait sans elle. Elle n’est pas à confondre avec le sentimentalisme, plus superficiel et passager.

Conclusion

Comme nous l’avons vu, le rite remplit de multiples fonctions aussi bien à l’égard de l’homme qu’à l’égard du corps social et religieux. Le rite offre des points de repère dans le temps et dans l’existence personnelle ; il donne du sens à la vie ; il est la porte d’entrée pour s’intégrer dans un groupe social et religieux ; il agrège un groupe et forge l’identité des membres d’une communauté ; il fait revivre des événements passés ; il s’emploie à maîtriser les passages et les ruptures ; il façonne et travaille l’intériorité des personnes ; il ouvre au sacré et au mystère ; enfin il est un lieu de transmission des traditions. Il est difficile d’enfermer toutes ces fonctions dans une définition. Pour Raymond Didier, le rite est "un agir spécifique, programmé, répétitif et symbolique" (Les sacrements et la foi. La Pâque dans ses signes. Croire et comprendre, Le Centurion, Paris, 1975, p. 22). Jean Maisonneuve apporte quelques compléments et définit le rite comme "un système codifié de pratiques, sous certaines conditions de lieu et de temps, ayant un sens vécu et une valeur symbolique pour ses acteurs et ses témoins, en impliquant la mise en jeu du corps et un certain rapport au sacré" (Les rituels, Que sais-je ?, 2425, PUF, 1988, p. 11).

Nous devons néanmoins conclure que les sacrements sont plus que des rites ? Le rite n’est que l’aspect « extérieur » et « formel » du sacrement. Si cet aspect prend trop de place, les sacrements perdent leur signification, et l’on tombe dans le ritualisme. Les rites n’ont en effet de sens que s’ils renvoient à une authentique vie spirituelle : celle de Jésus, qui vivait de Dieu, et celle du chrétien, qui veut vivre comme Jésus. Le rite est un œuvre symbolique plus ou moins adapté et qu’il faut de temps en temps rénover - pour guider le croyant vers cette vie spirituelle.

Le repas <== Le rite ==> La parole