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Pour toujours

Toute la vie

L'engagement du mariage ne s'apparente pas à un contrat à durée déterminée. Il porte sur toute la vie jusqu'à la mort de l'un des conjoints. Il s'agit d'un projet à long terme, et non pas d'une suite de jouissances éphémères. L'objectif est de construire une communauté, or un tel projet exige du temps. La notion même de mariage est inséparable d'une durée. La durée ne s'analyse pas comme une séquence d'instants, mais comme une entité globale. L'événement présent, quelle que soit sa densité humaine, est appelé à être dépassé. R. Mehl souligne à cet égard, que

«l'instant présent n'a pas plus de réalité qu'une prise de vue cinématographique, qu'en réalité cet instant présent est sans signification si on le coupe de la longue histoire dont il est l'aboutissement et du devenir qui déjà s'ébauche en lui 73.»

S'il est légitime de rechercher les plaisirs de la vie et de vouloir s'y arrêter avec A. de Lamartine 74 , le mariage ne se construit pas à partir d'une somme d'instants desquels il faudrait tirer le meilleur parti. Il est une oeuvre qui se fonde sur une parole donnée, et dans laquelle chaque pierre se pose sur la précédente et soutient la suivante.

La multiplication des séparations témoigne de ce paradoxe de tout attendre de l'autre dans l’instant présent. L'autre est uniquement perçu dans la possibilité et la capacité à satisfaire un besoin immédiat, le couple se meut dans un monde d'éphémères où chaque jour se suffit à lui-même. L'immédiat se substitue alors à la durée, parce qu'il n'y a aucun projet d'avenir, et parce que la possibilité de la rupture est désormais ancrée dans les mentalités, comme le remarque S. Chalvon-Demersay :

«L'aspiration à la permanence de la passion a cédé la place à l'image de la déchéance probable de l'amour, dans un imaginaire bouleversé. Un autre romantisme remplace l'amour figure d'éternité par la figure de la mort du couple 75.»

Dans un tel contexte, l'amour est lié au provisoire; il relève du seul sentiment. Il n'y a donc aucune raison de l'associer à un engagement qui lui se veut figure d'éternité.

Cette perspective se situe bien dans la culture actuelle du tout tout de suite, or le sacrement de mariage célèbre l'accueil du déjà là et l'attente du pas encore. Tout n'est pas offert immédiatement; l'autre ne détient d'ailleurs pas la capacité de tout donner dans l'instant présent. Le don d'aujourd'hui ne revêt pas les mêmes richesses que celui de demain. Le sacrement de mariage, dans son déploiement dans le temps, marque l'avènement du déjà là et du pas encore. De l'échange des consentements à l'union des corps, les époux célèbrent l'accueil et l'attente, l'attente et l'accueil.

Un don irréversible

Donner sa parole contient quelque chose d'irréversible, car une parole donnée ne peut être reprise.

«Le mariage engage pour toute la vie parce qu'il engage toute la vie»

, note R. Brague 76. Il n'engage ni une partie de l'existence, ni une partie de soi-même, mais la totalité de soi-même dans la durée. La relation engage la totalité de deux existences. Elle est

«relation de deux existences 77.»

Le mariage n’est donc pas un engagement éphémère. Il ne consiste pas à découvrir l’autre, au sens propre et figuré, pour l’abandonner après avoir constaté qu’il ne peut satisfaire toutes les attentes.

La parole est donnée en un moment unique de façon irréversible. Elle est irrévocable 78, parce que si elle est un commencement, elle est sans fin. Elle s'inscrit dans l'espace et le temps et demeure, quelle que soit la destinée du couple. Le rite sacramentel du mariage donne à la parole cette dimension d'éternité. La parole est donnée en un lieu et un temps que le monde conserve. Personne n'oublie ce moment, parce qu'il est solennel et efficace. La parole ne s'efface pas. Elle est gravée dans le corps de l'homme et de la femme et de tous ceux qui participent à l'événement. De même, le corps donné ne peut être repris. Il porte les traces du don. L'union charnelle marque les corps d'une trace ineffaçable. L'enfant plus que tout autre événement scelle ce passage. En étant à la fois l'un et l'autre, l'enfant est le témoin vivant du don réciproque.

Le mariage possède donc en son essence quelque chose d'irréversible. Le don de sa parole lors de l'échange des consentements, et le don de son corps dans l'union charnelle scellent à jamais la volonté de devenir époux et épouse. La rupture n'efface pas ces événements. Elle ne les met pas davantage entre parenthèses. Le temps érode les souvenirs et cicatrise les blessures, mais le corps conserve inexorablement la mémoire du don réciproque.

La communauté de vie et d'amour n'est cependant pas indestructible. La vie conjugale est une réalité terrestre . Le sacrement de mariage donne une dimension chrétienne à l'union matrimoniale, mais ne la soustrait pas aux vicissitudes et aux aléas de l'existence. L'état du mariage ne se vit pas dans un paradis où l'homme et la femme seraient comme des anges non soumis aux désirs de la chair. La séparation est le résultat d'une alliance impossible à maintenir. Comme le souligne Jean-Paul II,

«divers motifs, tels que l'incompréhension réciproque, l'incapacité de s'ouvrir à des relations interpersonnelles, etc., peuvent amener à une brisure douloureuse, souvent irréparable, du mariage valide 80.»

Le sacrement de mariage est en ce sens paradoxal. D'une part, il possède des caractéristiques irréversibles. Il traduit en son commencement la volonté de se donner à un seul partenaire pour toute la vie. Le corps est marqué par ce don mutuel. D'autre part, le sacrement de mariage s'enracine dans une réalité humaine qui peut être détruite. Le don de soi est en somme irréversible, mais il ne garantit pas la pérennité de l'union.

Citations

73. R. MEHL, Essai sur la fidélité, PUF, 1984, p. 30.
74. A. DE LAMARTINE, Le lac, dans Méditations poétiques, Gallimard, 1981, p. 30 : «O temps ! suspends ton vol, et vous, heures propices ! Suspendez votre cours : Laissez-nous savourer les rapides délices Des plus beaux de nos jours.»
75. S. CHALVON-DEMERSAY, Concubin-concubine, Seuil, 1983, p. 116.
76. R. BRAGUE, La totalité et le consentement, Communio, IV, 5, p. 14.
77. F. CHIRPAZ, Sexualité, morale et poétique, Lumière et vie, 97, 1970, p. 79.
78. Cf. Concile oecuménique Vatican II, Gaudium et spes, § 48, Le Centurion, 1967, p. 273 : «La communauté de vie et d'amour est établie sur l'alliance des conjoints, c'est-à-dire sur leur consentement personnel irrévocable.»
79. «Parmi tous les sacrements, celui du mariage a ceci de spécifique d'être le sacrement d'une réalité qui existe déjà dans l'ordre de la création, d'être le pacte conjugal institué par le créateur au commencement.» JEAN-PAUL II, Familiaris consortio, § 68, Tâches familiales, 1982, p. 79-80.
80. JEAN-PAUL II, Familiaris consortio, § 83, Tâches familiales, 1982, p. 95.

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