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En conclusion, le véritable sacrifice

L’histoire biblique retrace une lente conversion sur le sens du sacrifice et également sur la nature de Dieu. Le peuple hébreu apprend progressivement à quitter la logique du calcul et du mérite pour entrer dans celle du don gratuit. Passer d’un Dieu qui approuve les sacrifices sanglants à un Dieu amour demande du temps. Le rôle des prophètes dans cette conversion est déterminant.

1S 15,22 Samuel dit alors : Le SEIGNEUR aime-t-il les holocaustes et les sacrifices autant que l’obéissance à la parole du SEIGNEUR ? Non ! L’obéissance est préférable au sacrifice, la docilité à la graisse des béliers.

Mi 6,7-8 Prendra-t-il plaisir à des milliers de béliers, à des libations d’huile par torrents ? Faudra-t-il que j’offre mon aîné pour prix de mon crime, le fruit de mes entrailles pour mon propre péché ? » - « On t’a fait savoir, homme, ce qui est bien, ce que Yahvé réclame de toi : rien d’autre que d’accomplir la justice, d’aimer la bonté et de marcher humblement avec ton Dieu. »

Is 1,11-17 Qu’ai-je affaire de la multitude de vos sacrifices ? dit l’Éternel. Je suis rassasié des holocaustes de béliers et de la graisse des veaux ; je ne prends point plaisir au sang des taureaux, des brebis et des boucs. Quand vous venez vous présenter devant moi, qui vous demande de souiller mes parvis ? Cessez d’apporter de vaines offrandes : j’ai en horreur l’encens, les nouvelles lunes, les sabbats et les assemblées ; je ne puis voir le crime s’associer aux solennités. Mon âme hait vos nouvelles lunes et vos fêtes ; elles me sont à charge ; je suis las de les supporter. Quand vous étendez vos mains, je détourne de vous mes yeux ; quand vous multipliez les prières, je n’écoute pas : vos mains sont pleines de sang. Lavez-vous, purifiez-vous, ôtez de devant mes yeux la méchanceté de vos actions ; cessez de faire le mal. Apprenez à faire le bien, recherchez la justice, protégez l’opprimé ; faites droit à l’orphelin, défendez la veuve.

Is 58,6-7 Le jeûne que je préfère, n’est-ce pas ceci : dénouer les liens provenant de la méchanceté, détacher les courroies du joug, renvoyer libres ceux qui ployaient, bref que vous mettiez en pièces tous les jougs ! N’est-ce pas partager ton pain avec l’affamé ? Et encore : les pauvres sans abri, tu les hébergeras, si tu vois quelqu’un nu, tu le couvriras :devant celui qui est ta propre chair, tu ne te déroberas pas.

Ecc 35,2-5 Observer la loi c’est multiplier les offrandes, s’attacher aux préceptes c’est offrir des sacrifices de communion. Se montrer charitable c’est faire une oblation de fleur de farine, faire l’aumône c’est offrir un sacrifice de louange. Ce qui plaît au Seigneur c’est qu’on se détourne du mal, c’est offrir un sacrifice expiatoire que de fuir l’injustice.

La réconciliation avec son frère passe avant toute offrande à l’autel (Mt 5,23-24). Jésus enseigne d’ailleurs lui-même la primauté de la miséricorde et de l’amour sur les sacrifices :

Mc 12,33 Aimer Dieu de tout son cœur, de toute sa pensée, de toute son âme et de toute sa force, et aimer son prochain comme soi-même, c’est plus que tous les holocaustes et tous les sacrifices.

Mt 9,13 Allez, et apprenez ce que signifie : Je prends plaisir à la miséricorde, et non aux sacrifices.

Le sacrifice chrétien ne consiste pas à donner à Dieu une chose qu’il ne posséderait pas sans nous, mais à nous rendre disponibles et réceptifs et à nous laisser saisir totalement par Lui. « Laisser Dieu agir en nous, voilà le sacrifice chrétien », écrit Ratzinger. Pour lui l’essence du culte chrétien ne consiste pas dans l’offrande de choses ni dans une destruction quelconque, comme « il est répété sans cesse dans les théories du sacrifice de la Messe, depuis le XVIe siècle » (Joseph Ratzinger, La Foi chrétienne, hier et aujourd’hui, Cerf).

Le sacrifice consiste à « faire du sacré » pour entrer en communion avec ses frères et avec Dieu. Le sacrifice expiatoire et sanglant est dénoncé au profit d’une éthique de la justice et de la miséricorde. Le Christ a remplacé la logique de rétribution par la logique de miséricorde. 
Le don de soi au jour le jour ne veut pas la mort, mais assume le risque de la souffrance lié à l’amour. En ce sens, on peut parler de la mort d’Arnaud Beltrame comme d’un sacrifice, car il a donné sa vie en servant et en acceptant le risque de mourir au bénéfice d’un autre1.

Nous le savons bien ! Faire des prières n’est pas exactement prier. Et Dieu n’attend pas de nous des gestes ou des dons extérieurs. C’est la question qu’Il se pose dans le psaume 50 : « Mangerais-je la chair des taureaux ? Boirais-je le sang des boucs ? ». Le geste liturgique qui prend sens et valeur dans le Nouveau Testament doit exprimer une transformation intérieure pour vivre le commandement que Jésus donne : aimer Dieu et son prochain. Il n’y a pas d’autre sacrifice que celui-là. Et c’est bien un sacrifice dont il ne faut rejeter en rien la notion. Ce que nous devons bannir est le faux sacrifice, le sacrifice purement rituel et extérieur, l’accomplissement que produiraient certains gestes convenus. La lettre aux Hébreux le dit bien : les sacrifices sanglants n’ont jamais été que des esquisses. «Le vrai sacrifice –comme le définit St Augustin- est toute bonne œuvre qui contribue à nous unir à Dieu dans une sainte société, à savoir toute œuvre rapportée à ce bien suprême, l’union à Dieu, grâce auquel nous pouvons être heureux » (Cité de Dieu X, 6). Ce que faisait déjà entendre le psaume 39 : « Tu ne voulais ni offrandes, ni sacrifices. Alors j’ai dit : « voici, je viens faire ta volonté »… et que St Augustin traduit de manière chrétienne.

Lorsque Jésus dit, en reprenant la parole du prophète Osée : « c’est la miséricorde que je veux et non le sacrifice », il n’exclut pas le « sacrifice » pour le remplacer par la « miséricorde ». Il nous fait comprendre que le vrai sacrifice est la miséricorde. Il ajoute d’ailleurs : « je ne suis pas venu abolir la loi mais l’accomplir » c’est-à-dire permettre à cette loi de manifester son vrai sens. Et chacun de nous le sait bien : mener sa vie selon la loi ne va pas sans sacrifice si l’on n’oublie pas que cette notion reflète aussi une dimension de pénibilité. Car, reconnaissons-le ! : renoncer aux mensonges, à la dérision, aux hypocrisies de toutes sortes comme refuser de poursuivre des buts égoïstes est pénible.

Le christianisme est une religion du cœur où tout rite ne prend sens que s’il traduit et engage une conversion intime et où le sacrifice, le vrai, se déploie dans l’exercice d’une miséricorde bienfaisante. (1 - Philippe Marxer)